La nouvelle vie parisienne: lundi, novembre 13, 2006

13.11.06

Il faut bien un début à tout

Comme il faut bien commencer par quelque chose, je dirais que c’est une histoire banale, comme il en arrive un paquet tous les jours. Un truc commun mais juste un peu décalé qui fait que ça devient une histoire. Le fait que ce soit moi le personnage principal est aussi un peu le fait du hasard. J’avais pas spécialement envie qu’il m’arrive quoi que ce soit, mais ça m’est arrivé. C’est vrai que j’ai pas la prétention d’avoir un je ne sais quoi au fait que, mais c’est peut-être aussi parce que je m’ennuyais que ça s’est fait.

J’avais traîné toute la matinée dans mon salon, ne sachant quoi faire de spécial, des tours sur Internet, puis un peu de lecture, j’ai commencé à nettoyer un peu mon gourbi, et j’avais fait le tour. Plus rien ne me venait à l’esprit. Après il faut en appeler aux autres, mais j’avais pas spécialement la fibre sociale à ce moment-là, alors je me suis lavé tranquillou et j’ai bougé de chez moi. Je m’disais qu’un tour dehors ça pouvait que me rafraîchir, ouvrir un peu mes bronches. La clope au bec je descends les escaliers, j’ouvre la porte de l’immeuble et sur le pallier, j’savais pas vers où me tourner, truc rare en fait, j’ai toujours une première impulsion qui me pousse à aller vers, j’sais pas quoi mais vers. Rien ne venait. Je termine ma clope, l’écrase et tourne mes pas vers la droite. Donc plutôt le p’tit périple, celui qui mène juste vers les Batignolles, où vers Lévis, ça dépendra d’ensuite.

Au croisement, c’est définitivement Batignolles. J’m’y lance. M’allume une autre clope et commence à me laisser vagabonder, style rêveur, le regard un peu haut. Je croise du peuple, bien mis, c’est le quartier qui veut ça. Quelques mamans qui traînent leurs poussettes, un lascar qui traîne pareil que moi et des poulettes, partout. C’était l’heure qui voulait ça, juste avant la sortie des bureaux, c’est les jolies filles qui en sortent en premier, sorte de droit que confère leur allant. Je passe un bar branchouille, longe l’église et j’aperçois, en fait j’imagine d’abord qu’il y a quelque chose qu’est pas comme d’habitude, je définis pas, je m’laisse porter par mes pas. Devant la grille du parc, deux mômes se coursent, me bousculent un chouilla et traversent la rue sans zyeuter nulle part. Là je remarque que la rue est fermée.

Des barrières mobiles ferment la rue principale. Donc c’est qu’il y a un événement, un rassemblement ou un marché, mais rien de tout ça, la rue est fermée, c’est tout. Je rentre dans le parc, et j’avise un banc avec vue sur le petit lac, les cygnes, les canards, voilà qui me fera au bas mot deux heures de paix intérieure. Donc je m’assois. Les passants font leur taf, les cygnes nettoient la vase, les canards font les malins, je commence à m’éloigner un peu plus de la réalité, je crois qu’à ce moment, j’ai atteint l’état que je cherchais, le rien vouloir. Donc j’allume une clope. Ce geste me fait apercevoir un jeune homme qui s’obstine à se diriger vers moi, je le sens, donc j’ignore, je fais comme si. Et il m’alpague, pour une clope, que je lui tends. Et le feu qui va avec. Mais contrairement aux usages coutumiers, il s’installe à côté de moi et commence à me converser. Doucement, sur le ton du mec qui parle comme une sale manie, puis des interrogations, auxquelles je me force de répondre, pas grand-chose, un peu du tout venant. Puis ça prend la forme d’une discussion, alors que j’étais pas dans les bonnes dispositions. Mais j’accepte le jeu, et on part sur des trucs de base. Le temps on l’a pas fait, c’est bien le seul truc. J’apprends qu’il est du coin, il s’installe depuis sa province, genre il commence à chercher à connaître.

Bon, je voyais gros comme une maison le moment qu’on allait faire le tour du proprio, et là c’est le meilleur pain, là c’est bière pas chère et tout le toutim. Il renâcle un peu, va pas droit au but, mais j’ai les guibolles qui veulent s’ébattre, dont acte. Et de conserve, c’est le grand tour. Ca m’ennuyais moyen au départ, ça fait vraiment la conversation quelqu’un qui cherche à savoir, alors je cause un peu plus, guide touristique du bien vivre dans le coin. On passe devant un p’tit hôtel, avec un bar dedans, et assis à ce bar un visage qui s’éclaire. Et je me retrouve au milieu d’effusions que je saisis mal. Il apparaissait que ce jeune homme et cette jeune femme se connaissaient, étaient du même coin mais n’étaient pas partis en même temps. On fait les présentations d’usage, et ma foi, comme jusque là tout allait bien, un ch’ti verre n’était pas de refus.

Alors ça cause à trois. Tranquillement installés dans des fauteuils du temps de Poher, on échange des phrases. Quand ça part bien, c’est tout bénèf’ pour le temps qui passe, il va plus vite, et l’heure du repas n’est plus très loin. Ce qui était mon but au moment de ma sortie, bouffer à une heure chrétienne. Pourtant ça causait sévère, il fallait trouver le moyen soit de quitter la conversation sur un truc anodin, soit proposer une bouffe à plusieurs. Je glisse la deuxième, plus sympathique vu l’ambiance générale, mais cette proposition semblait par trop décalée. Donc je décarre en douce sur mon envie de grailler. Un silence en portée, et devant ce désir soudain les volontés s’animent, nous optons pour un restau à deux pas tenu par une connaissance d’un des tiers. Le bistrot paraît serein, carte classique, tout Paris en quelques mots. Mais je commence a me sentir de trop, j’avais pris trop de place, jusqu’alors ma passivité guidait mes pas, tout se passait bien, les événements coulaient sur moi, à présent j’avais fait montre de quelque chose qui n’avait pas sa place, comme un désir d’agir. Ce n’était pas vrai, je le savais, mais c’était tout comme ; j’aurai dû résister à la tentation de proposer, à cette sale manie que nous avons naturellement de s’imposer à ce qui doit arriver. Je n’avais plus ma place ici, il y avait trop de moi là-dedans, mais je ne pouvais non plus quitter cette compagnie à ce moment précis. Je serrais les dents, fixais la carte d’un air soutenu, et prenais une andouillette frites.

Une fois la commande prise, je rentrais dans la conversation, presque en infraction, contre le bon sens de circulation des sons. Je voulais une nouvelle fois, mais en m’imposant entre les deux convives. Je remarquais enfin les yeux de la partenaire, des yeux noirs, rares, je tentais de ne pas bafouiller, mais je sentais une baisse de tension générale, comment faisait-il l’autre pour causer si calmement depuis tout à l’heure, comment ne voyait-il pas l’éclat de ce regard, cette force sauvage, ce machin qui gisait au fond de ces yeux-là. Sa réponse polie était une mise à l’index un tiens toi un peu plus loin mon gars, pas un rejet, pire, un truc pas croyable. Je servais le vin pour me redonner un peu de contenance, en prenant l’air détaché des cons.

Ils étaient partis sur un menu, j’attendais piteux mon plat en les écoutant mâcher. Je me sentais au plus mal, et personne pour me faire sentir un peu mieux, pas même l’autre empaffé que j’avais baladé tantôt. J’étais dans l’obligation de visiter la salle des yeux. C’était grand, marron type chalet de montagne, qui s’veut chaleureux, avec des portrait un peu passés, et des tons ocres pour les tables et les dessous d’assiette. Un rade comme il y en a cent milles à Paris. Je visais la serveuse, parisiens communis, un peu plus haute que la moyenne, mais d’un talon, au bar un barman que je n’ai pu voir que grâce aux volutes de son torchon, et des gens qui bouffaient alentour, et de tout. Mon attention heureusement s’est focalisée juste assez longtemps sur un couple à deux tables de là pour que mon plat arrive sans que je ne sois complètement décomposé.

C’est en attaquant mon andouillette recomposée que je fus aspiré dans la conversation. « Et vous ? Enfin toi ? » L’art de la conversation version XXIème siècle, XVIIème arrondissement : attendre qu’un des convives soit bien hors du coup pour le mettre à l’amende. Je bafouillai-je un « moi ? » qui me surprît. Donc je devais à mon tour faire le blabla. Qu’à Dieu vat ! Je partais la fleur au fusil, la rose à la bouche et tout le tralala dans les joies de l’échange dînatoire. Donc j’oralisais ma vie, j’en sortais quelques nœuds, des problématiques juste ce qu’il faut, et m’en sortais pas trop mal, car la conversation se refît à trois, comme si le calvaire précédent était oublié et Jésus revenu des morts.

La causerie arrivait vers sa fin, ça sentait le départ, le grand retour des mathématiques pratiques, le pianotage bancaire, et les adieux « on se revoit » définitifs. Mon brave compagnon de marche s’enquit du où de chacun et voyant qu’il habitait un lieu trop loin de tout, il abandonna bibi et yeux noirs, qui s’prénommait Charlotte, à leurs bons vents. Je refusais cette fois de proposer quoique ce fût, je craignais trop de faire retomber sur mes épaules la charge d’être responsable. Je n’eus même pas à y penser, puisque je venais de faire l’acquisition d’un guide de première bourre. Nous cheminâmes jusqu’à un bar équidistant, y prîmes le verre de l’amitié, et commençâmes le début de cette histoire.