La nouvelle vie parisienne: jeudi, novembre 16, 2006

16.11.06

Oh putain! Un dialogue!

« Ah ? » fis-je d’une voix éraillée.
« Oui, c’est un de mes neveux »
« Ah ! » fis-je d’une voix plus ferme, mais contenue.
« C’est une des maisons de mon oncle »
« Ah ! » fis-je d’une voix tu m’en diras tant, qui par ailleurs donnait à mes réactions un rythme ternaire très vieille France.
« Je ne fais que sous-louer une chambre chez lui »
« Ah » fis-je d’une voix neutre, mais qui ruinait mon bel agencement classique.
« Mais il n’est jamais chez lui. Que cela ne te déconcerte pas »
« Tiens ? » on se tutoyait, je n’ai pas eu l’occasion d’aborder ce point, parce qu’au début, le vouvoiement était de rigueur, le tu a commencé à peu près comme nous sortions du bar de l’hôtel.
« Est-ce que tu veux boire quelque chose ? »
Je ne répondis point à cette question, le seul fait de ma présence était une claire affirmative.
« J’ai plus grand chose. Le week-end dernier on a fait la fête, mais il n’est rien resté. Une vraie orgie »
« Qu’est-ce que tu me proposes ? » j’espérais un Coca ou une orangeade ou encore du Schweppes mais pas de truc trop forts, j’avais atteint mes limites en la matière et la moindre gorgée d’alcool m’aurait mis au pilon. Même une dernière gorgée de bière.
« J’ai de la vodka et un fond de whisky »
« Rien sans alcool ? » osais-je.
« Bien… du Tang ou de l’eau. Je suis désolée, je n’ai pas eu le temps de faire les courses »
« Du Tang ? » pourquoi pas un Viandox ou de la réglisse.
« Oui, tu sais la boisson orangeâtre en poudre qu’on mélange avec de l’eau. Je buvais ça quand j’étais petite, et ça reste ma boisson favorite. Avec un peu de vodka c’est fabuleux. »
« Oui, je connaissais, mais avec de la vodka, ça doit jurer. Non ? » pourquoi pas un biberon de beaujolais !
« Oh ! Il faut absolument que tu goûtes alors. Je te prépare ça ; installe toi pendant ce temps, je reviens tout de suite. »
« Ok. » Je visitais le salon. C’était grand, y’a pas à dire, et rendu vaste par le dépouillement du lieu, un canapé en cuir quatre places, devant lui un tapis pas top qui s’ajustait à une petite plaque en fer qui protégeait le sol des éclats possibles du bois qui pourrait brûler dans une cheminée imitation marbre mais de belle taille. Derrière le canapé une table longue collée au mur avec un banc légèrement ouvragé mais limé par les multiples derrières qui l’ont utilisé. A droite du canapé trois fenêtres qui commençaient à mon bassin et qui me dépassaient d’un bon bras. A la gauche du canapé une table basse avec quelques revues négligemment posées. Au-dessus du canapé un lustre qui ressemblait à un Lalique, en tout cas dans mon imagination. Et sur le canapé, ouam.
« Et voilà ! »
« Tu as fait la dose familiale ! »
« Quand je commence à en boire, je ne peux plus m’arrêter »
« A la tienne ! »
« Tchin ! C’est gentil de m’avoir accompagnée, j’ai toujours le cafard de rentrer seule à la maison »
« Mais il y a ton neveu ? » c’était une boutade, lancée au bon moment à mon sens, car ce genre de remarque émanant d’une jeune fille assise près de soi est soit une invitation à rester parce que t’es très gentil tu sais, soit le fait d’une grande dépressive qui va faire le numéro de l’abandon, de la solitude, de la désespérance de la vie moderne et à wa déjà ! 3h du mat’ c’est pas le moment de se faire chier la bite avec des histoires cafardeuses.
« Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, rentrer vraiment seule, être seule. »
« Ah© ? » c’ui-là c’est mon ah des grandes occasions, le profond, celui qui fait trembler la glotte qui vient du fond des poumons, qui s’accompagne d’un nuage de soupirs, avec les yeux posés sur un point imaginaire très loin d’ici, qui regarde au tréfonds de la terre, avec en plus, petite touche théâtrale, un geste de la main qui fait oublier son dos pour montrer sa paume. Un truc super travaillé, très très classe, et c’est une création mondial.
« Il y a deux semaines, mon copain m’a quittée, et j’ai du mal à m’en remettre. Une relation très forte, fusionnelle, quelque chose de très fort. »
« … »
« Nous nous connaissions depuis tout petits, nous avons grandi ensemble, et il y a deux ans de cela nous avons découvert que nous étions faits pour être ensemble, trop de points communs, trop de choses partagées, ça nous a paru naturel. »
« … »
« Et puis il y a deux semaines, il a décidé que ce n’était plus possible, que j’avais trop changé, qu’il ne se sentait plus bien avec moi, qu’il devait aller voir ailleurs, et qu’il regrettait mais que c’était inévitable »
« … »
« J’ai passé une semaine enfermée, à ne rien vouloir faire. Des amis ont décidé de me bouger et ont organisé la fête dont je t’ai parlé, pour me réveiller, vraiment pour me bouger, pour pas que je reste à désespérer dans mon coin pour une histoire qui n’était qu’une histoire. »
« Mmm » c’était une histoire triste, mais je me demandais ce que je pouvais faire pour cette pauvre demoiselle éplorée « et donc tu as pu tourner la page ? » c’était de la politesse toute bête, j’avais dans l’idée de lui proposer d’oublier tout ça de tourner la page définitivement, de faire d’autres rencontres, et qu’une petite aventure pouvait l’aider. J’me plaçais.
« Quand vous êtes arrivés, je l’attendais, il devait passer dans cet hôtel, on m’a dit qu’il y retrouvait une greluche, vers 14h, j’ai attendu pour rien et quand j’ai vu Alain ça m’a fait du bien »
« Et puis ça nous a permis de faire connaissance » on peut toujours essayer.
« Oui, aussi » une rasade de vodka tang
« Et tu comptes continuer à le poursuivre. Hop ! Pas trop merci » ce mélange était vraiment pas bon, l’acidulé pour la langue et la vodka pour le fond de gorge, à ce niveau d’alcool et de fatigue, c’était prendre des risques avec le tapis.
« Je sais plus trop »
C’était le moment de tenter un truc. Je me tourne façon super concerné, le regard doux et d’un geste de la main je caresse sa joue. Pas de réaction donc je me rapproche.
« Je ne suis pas en état, désolée. Je sens que tu es quelqu’un de gentil, mais je suis vraiment pas en état »
« Désolé, je ne voulais pas te brusquer » sortie de crise, envoi automatique, carte 12.
« Non, mais ce n’est pas ça, en temps normal, j’aurais réagi différemment »
« Pas de problèmes, je comprends » grand seigneur ! Mais il va falloir songer à partir.
« Tu peux rester encore un peu, si tu veux »
« Je finis mon verre et je me carapate » réaction automatique, fin de conversation, carte 25, mais c’est un verre de Tang Vodka que je dois finir ! pas un fond de vin ou 20 cl de bière. Mais par politesse j’endurais ce traitement.
Nous nous fîmes la bise poliment, nous promîmes de nous revoir, sans échanger pour autant nos numéros de téléphone. Et je me retrouve dehors, à une trotte de chez moi. Je tourne le dos à l’immeuble, tourne le coin, jette un dernier coup d’œil en arrière, mets mes mains dans les poches. Je sors de ma poche gauche mon paquet de garetcis, dernière clope, je l’allume. Et j’entends qu’on me hèle.