La nouvelle vie parisienne: samedi, janvier 13, 2007

13.1.07

Jésus Christ - Jardin Cour

« Salut »
« Salut »
« Ca va ? »
« Ca va mieux »
« Mieux ? »
« Malade tout le week-end. J’ai dormi, mouché, transpiré. Et aujourd’hui je garde la chambre »
« Pas cool »
« Non, pas cool. Et toi »
« J’ai enfin trouvé un boulot »
« Super ! Ton dernier plan ? »
« Ouais, çui-là »
« Si tu veux passer ? »
« Non, je te laisse te reposer. Pis faudrait pas que je tombe malade dès le début »
« Vi. A plus alors »
« Ciao »

Ca c’est du dialogue, précis, concis, clair, bien rythmé, un maximum d’informations en peu de mots, un must, y’a pas à dire. Mais parfois l’intérêt d’un échange d’informations réside dans le temps que l’on prend et du plaisir que l’on se procure à parler, simplement parler. Avec les amis c’est pas possible, le blabla est inimaginable, on sait déjà trop, on s’est déjà tout dit, on s’échange des choses qui ne tiennent pas aux mots. On dit avec tout le reste. Et quand les mots sont là, ils n’ont pas les mêmes caractères que les mots appris, ou employés dans d’autres situations. Ce sont d’autres mots, indéfinissables hors de ce dialogue précis. Les autres coups de fil furent autant de rapides échanges. Je rentre dans ma soirée seul, j’en tirerai peut-être une dernière saveur d’un Paris que je ne retrouverai pas avant longtemps.

Au sortir des tuileries, je passe près de la statue de Jeanne, et m’élance vers Opéra. En temps normal, je préfère les petites rues, mais j’ai envie de trucs un peu monumentaux, le Grand décors parisien. Je m’arrête quelques instants devant une brasserie, regarde qui s’y trouve, juste comme ça. Puis reprenant ma marche j’imagine ce que je pourrai faire des quelques heures qui me séparent du sommeil. Il me semble qu’une pause au Café de la Paix serait très parisien. Je le cible, et y rentre. La moyenne d’âge est à cette heure de cette journée très élevée, c’est la petite sortie du lundi, après la grande sortir restau-théâtre de la veille. De toutes les tables émanent des odeurs de jasmin, des dames savamment habillée discutent avec des petits gestes nerveux, au moins un chien très verticaly challenged est affalé à leurs pieds, quelques serveurs sourient obséquieusement quand d’autres font la gueule, car ces bonnes dames sont exigentes, mais régulières, et fidèles à leurs habitudes. Et si ce n’est pas le Café de la Paix, ce pourrait être un autre. Certains serveurs savent qu’ils doivent à cette population une partie non négligable de leurs revenus. J’avise une table dans le réduit fumeur, m’y installe et me prépare à attendre un temps indéterminé. Je ramasse un Figaro mal traité qui traîne sur la table à ma droite, et l’ouvre. Ce simple geste m’attire la considération de certaines personnes alentour. Et rapidement je me vois proposé de passer ma commande. Une bière en bouteille, peu importe, une Duvel par exemple. Ce qui sortira de ma poche m’aurait permis de faire un bon repas dans un des restaurants de mon quartier. Mais je fête un événement, alors…

Je prends un plaisir certain à être là, dans ce lieu précisément à ce moment de mon séjour. Le calme règne, très peu de bruits, un brouhaha très civilisé, de quelques tables sortent des sons qui détonnent. Des touristes certainement. Ils ne semblent pas être à leur place, ils se repèrent tout de suite, quand moi qui suis d’un autre univers passe inaperçu. Ils sont enfin servis quand j’attaque ma deuxième gorgée de bière et ma première clope, et la page quatre du journal. Je survole plus que je ne lis, car mon regard est attiré irrésistiblement par une jeune femme assise seule à la frontière des deux salles. Elle me présente son profil. Elle est habillée en bleu. Elle est brune. Elle a les cheveux longs. Elle a un nez en peu en patate. Elle a une bouche fine. Elle a un thé sur la table. Elle a son sac à ses pieds. Elle porte une robe longue. Elle porte une veste légère. Elle est courbée dans sa chaise. Elle a pleuré.

Et je me dis que Paris, c’est parfois pas mal. Disons, que ça fait des trucs comme ça, ça fait du temps en fait, on en perd, mais Paris en fabrique. Comment dire. Tout va vite, même brutalement mais en ralentissant les secondes, on s’apercevrait que tout ceci est fait de manière bien commune, mais sur un autre rythme. Tout est normal, mais en temps normal, Paris aurait la taille de la France et des journées de six heures. Alors je regarde cette jeune fille et je me dis que Paris me permet de voir ce spectacle, en payant une somme farfelue pour ce que je fais. J’en paierais peut-être autant au théâtre. Voire un peu plus, avec le risque d’être déçu. Et puis au théâtre si quelqu’un pleure, je sais que c’est pour de faux. Alors j’écrase ma clope, pose ce journal et m’approche. Mais je m’aperçois que le simple fait de m’être levé et de commencer à m’avancer m’a transformé en intrus, je sens des milliers de regards qui m’épient, et des sourires en coin, et des idées bizarres qui m’assaillent, comme si je m’étais levé en plein spectacle, dérangeant spectateurs et acteurs, j’ai l’impression d’être suivi par un faisceau lumineux, chaud et violent, d’être dans une lumière que je ne méritais pas. A trois pas de sa table, je change de direction, le plus naturellement possible et me dirige vers les toilettes. Et tout redevient normal.

Je fais volte-face, et m’adresse à la jeune fille en lui demandant si je pouvais m’asseoir pour lui tenir compagnie. Elle me regarde étonnée, et opine. Je commence en lui disant que je la regardais depuis tout à l’heure, que son visage était très beau et que je souhaitais l’inviter. Elle me souris. Une vieille dame derrière moi commente « S’il savait avec qui il a affaire, pauvre imbécile ! » et tout le monde se met à rire, la lumière revient sur moi, une forte odeur de javel me monte aux narines. J’avais imaginé cette scène tout le long de mon trajet jusqu’à ce chiotte. Je pisse, me lave les mains et remonte, un peu rougeaud. Je repasse derrière elle et me rassois. Je reprends mes esprits, et réouvre le journal à une page quelconque. J’allume une autre cigarette, et jette de nouveau un œil à la jeune femme. Elle s’apprête à partir. Je me dis que peut-être dehors j’aurai plus l’allant nécessaire pour l’aborder, que je devrais me lever un peu après elle et la suivre, au moins un peu histoire de voir vers où elle se dirige. Mais je sens bien que si je n’ai pas été capable de l’aborder à un moment si adéquat, comment le faire dans la rue, au pire moment que l’on puisse imaginer. Je me replonge dans le journal et fait en sorte de n’en ressortir qu’après lui avoir laissé le temps de partir.