La nouvelle vie parisienne: jeudi, décembre 21, 2006

21.12.06

De la tendance de la neige à fondre

“Me voilà bien!” Je me disais cela avec une pointe de perplexité. Qui semblait normale vu les circonstances. Comme souvent à Paris, c’est d’abord le digicode, puis les sonnettes. Il faut connaître la combinaison, alphanumérique le plus souvent. Une idée me traversa, comment faisions-nous avant le portable? Parce que ça fait longtemps qu’existe ce système, mais imaginez, vous avez rencard dans un appartement et vous découvrez au dernier moment qu’il vous faut le code, et y’a pas de téléphone dans le coin. Comment faire? En me disant cela, je vis le petit bouton au dessous des touches qui permet d’ouvrir sans taper le code en journée. J’appuie dessus, et ça s’ouvre. Je reperplexais devant cet a propos diachronique.

Le sas d’entrée permettait l’accès aux boîtes aux lettres et aux interphones. Un rapide coup d’oeil aux noms me permit de voir que les prénoms manquaient. Donc impossible de supputer. Aussi bien côté boîte que côté interphone. Je pris mon portable et dans mon répertoire je cherchai son prénom. Une fois dessus je validai et attendis. Comme la fois précédente, une sonnerie dans le vide, sans répondeur. Je ne pouvais pas partir comme ça, sans rien tenter d’autre, il y avait devant moi un chemin qu’il me fallait prendre, j’en avais la certitude. Il fallait que je passe par là, par elle, c’était une voie vers quelque chose que je devais découvrir. Je cherchai une occupation en attendant qu’une âme secourable passe par-là.

Un quart d’heure plus tard, je pouvais sans difficultés dire ce qu’il y avait dans mes poches, dans mon portefeuille, combien j’avais sur moi en liquide et qu’elles étaient toutes les options de mon portable. Dix minutes plus tard, je m’amusais à apprendre par coeur tous mes numéros de téléphone. Une demi-heure avait suffi pour les connaître tous. Je commençais à m’impatienter. Aucun mouvement dans l’immeuble, une heure passée à attendre qu’un autochtone daigne montrer le bout de son nez, et rien ne venait, à croire que cet immeuble avec deux escaliers côté rue et certainement deux côté cour était inhabité. Le prix du mètre carré était prohibitif dans le coin, mais pas à ce point, il y avait bien quelques personnes à Paris, voire en France, capable de s’en payer une tranche. J’étais sur le point de partir quand mon téléphone sonna.

“Numéro caché”, je décroche. Une voix. Un “qui est à l’appareil?”, ben moi, répondis-je, qui moi? répondit la voix, ben moi redis-je. Et qui est à l’appareil interrogé-je. C’est Charlotte. Je pressentais un tel événement, dès que l’appel caché s’est inscrit, un picotement sur le côté gauche, entre le pli du gras et les dernières côtes, puis un léger échauffement sur le haut du crâne, un flash, un petit quelque chose de rapide, comme une vague, et puis un petit claquement de la langue, la bouche sèche, déshumidifiée dans une exhalation. Elle répondait à mon appel au dernier moment, le celui juste avant d’enterrer toute cette affaire et passer à autre chose. C’était un signe.

Je me faisais enfin connaître, lui présentait mes hommages, lui dis que je passais pas là et que ben je passais un coup de fil. Alors elle voulut savoir si j’étais encore dans le coin, ben vi, et que je pouvais passer parce qu’elle venait de se réveiller, elle avait fait nuit blanche, qu’elle prenait un bain quand j’ai appelé et que voilà, avec plaisir tout ça. Par le plus grand des hasards j’étais juste devant sa porte, je lui demande son code, en fait même le dimanche l’ouverture automatique est enclenchée, donc je pouvais entrer puis je sonnais à Sébastien, et puis le reste je connaissais. On raccroche. J’attends, me décontracte, respire un bon coup et me laisse le temps de rêvasser un peu.

Je pensai à ce qui pouvait arriver à présent, dans quelles dispositions elle sera à mon égard, que portera-t-elle comme vêtement, une simple sortie de bain ou des fringues pour sortir ou des trucs pour rester à l’intérieur. Sa taille restait un mystère, j’avais le souvenir de quelqu’un de petit mais en même temps pas tant que ça, c’était qu’elle portait des talons, non? Et puis est-ce qu’elle sera sereine, souriante, ou bien encore un peu mélancolique et puis sont ex l’aura peut-être appelée parce qu’il comptait sur moi pour renouer tout ça, mais voyant que rien ne venait peut-être aura-t-il pris les devants. Et aussi sera-t-elle seule? Il y avait du monde dans cet appartement, un cousin ou un neveux, je ne savais plus trop, et puis elle n’était pas la locataire en titre du lieu, Sébastien n’était pas son nom de famille, ou peut-être si mais bon. Il me semblait que le moment était venu de sonner. Je jetai un oeil sur la liste des habitants, j’interphonisai au nom sus-dit.

“Oui, salut, monte” Bzzittt. La porte s’ouvre. Mon petit corps pendant cette heure avait bien chauffé le sas, la différence de température fit un petit courant d’air, toutes les odeurs accumulées s’enfuirent apportant vers moi les odeurs du dehors. Et tous les souvenirs des lieux et des choses qui les émirent. J’étais dans un état de fébrilité peu commun. Je prenais un chemin délicat, j’initiais une série d’actions qui ne semblait avoir aucune racine dans mon passé, une nouvelle phrase dont j’allai bientôt dessiner la première virgule, la première respiration avant une nouvelle conjonction, peut-être un nouveau verbe conjugué au présent.