La nouvelle vie parisienne: samedi, novembre 18, 2006

18.11.06

Y'en a qui en manquent pas...

J’étais un poil bourré, un brin fatigué, une grosse envie d’être à la zon, retrouver mes pénates, ma cartouche, mon plume, voire un brin de musique et peut-être même lire un peu, et ce malgré l’heure tardive. Se faire héler comme ac dans la rue à ce moment n’était pas des plus plaisants, j’reconaissais pas la voix, un peu éraillée, j’me disais que ce devait être un bringueur en mal de quelque chose, un gars qui sortait de boîte, un truc pas réjouissant. Juste le temps d’imaginer et je me retourne. J’aperçois un gus, bien sapé, avec la cravate qui va bien, sur une chemise blanche, une veste légère ouverte battant ses côtes, un futal au carré et certainement des chaussures, mais j’avais pas la vue en bonne état. Il souriait en marchant vite vers moi. Y’me dit bonjour, ce qui est un bon début, et se présente, en me disant qu’il m’avait suivi depuis l’immeuble et qu’il savait de qui je sortais. Qu’il surveillait nos pas depuis quelques temps et voulait causer de qui je savais. J’en reste un peu interdit, in petto je m’intrigue, je vagabonde, je divague, je m’inquiète, m’interroge gravement, et me dis que c’est tout de même étrange l’humaine nature et que merde, il avait du culot. Il me dit de pas m’inquiéter qu’il voulait seulement savoir comment elle allait, si elle le vit bien et que si j’étais pas son nouveau, sur quoi j’lui fait remarquer que c’est pas ses oignons et qu’il peut toujours se brosser et se renseigner lui-même à la source.

« Ne le prenez pas comme ça ! » Mais mon con j’le prends comme je veux, qu’on est majeurs et vaccinés et qu’il devait prendre ses responsabilités. Sur ce je reprends ma route. Il voulait pas lâcher l’affaire, il était trop avancé dans son enquête et il regrettait ce qu’il avait fait, voulait savoir si l’affaire était cuite ou s’il y avait encore de l’espoir, et que ce qu’il avait fait c’était pas bien, qu’il avait agit trop vite, que ça lui ressemblait pas, il était dans l’amertume jusqu’au cou, voulait pas en fait, mais que vous savez quand on pense avec sa bite on pense court terme et qu’il avait été vraiment moche, que ça avait pas duré avec l’aut’ et voilà. Il souffrait, qu’il me dit, ça faisait trop mal et il avait pas le courage d’aller à l’affrontement si c’était perdu d’avance qu’il était trop fragile, pas serein pour une thune, et merde il s’agenouille, génuflexe et commence à bafouiller des larmes. C’est pas possible de laisser un camarade dans le défaut, un gars nature qui pense comme tout le monde, qu’est victime de ses penchants, et j’me dis qu’il est un peu comme moi, un peu lost, maculé par tout le caca de ses actions et qu’il avait besoin de se nettoyer avant d’aller à la bataille, d’être impeccable, pardonné, en paix avec sa conscience. Je m’arrête définitivement et lui propose qu’on aille causer un chouille dans un coin tranquille, mais qu’il me fallait des clopes, sinon j’étais bon à rien. Il obtempère les yeux tout brillants, un sourire de chérubin, il sort de sa fouille droite un paquet de malbacks blanches et me les refourgue. J’en prends qu’une, lui rend son paquet, grand seigneur, l’allume et lui propose de commencer son récit sur le chemin du lieu qui peut-être n’existe même plus à cette heure.

Il s’étouffe de joie, crache un bout, reprend sa respiration, se calme et débute son récit. Je retranscris pas, c’était pas trop intéressant, en plus j’en savais déjà un bout, il m’apprend que c’est lui qui avait tout fait le boulot, qu’avait refait les ponts, proposé le rapprochement, tout machin bidulé et puis tout foutu en l’air, qu’elle avait suivi tout le temps, qu’elle avait laissé faire, même vers la fin et que ça le minait un peu de s’être laissé partir si facilement. Qu’il l’avait un peu mauvaise, et qu’il voulait pas que ça finisse comme ça. Sur ce je lui fais remarqué qu’il cherche en fait simplement à se venger, sur quoi il s’offusque, se rabroue, dénégationne, et soutient mordicus que non il veut vraiment que ça reprenne mais pour faire plus, aller plus loin, et qu’il sait que c’est elle la seule qui comptera dans sa vie, et que bon sans elle la vie ça valait pas la peine. Je mets mon veto, le holà, barricade, et lui sors que c’est qu’un naze, qu’il dit n’importe quoi, qu’il se paie du bon temps avec ses apitoiements à la con, qu’à son âge on sait pas ce que c’est que toutes ces choses définitives, que l’amour c’est un truc qu’il sait même pas combien c’est plus fort que sa petite histoire baisouilleuse, qu’il aille un peu se faire les côtes sur la vie et qu’il modère son discours de pisseuse et qu’il commence à me casser les couilles, et puis files moi une clope sinon je vais m’énerver.

Il jaunit et obtempère. Je taffe dans mon coin, le regard bas et la mine sombre, je me dis que si je dois le supporter le temps d’un verre je vais lui refaire le portrait et qu’il est trop tard pour se laisser emmerder par un chiard. Alors il me dit un truc pas banal, qu’il paraît peut-être jeune mais qu’il s’était déjà marié deux fois, qu’il avait un môme à l’autre bout du monde, qu’il avait pas mal bourlingué et qu’il était rentré en France uniquement pour elle. Ce qu’il eut été judicieux de sa part de dire plus tôt. Je le reluque un peu mieux, refais son portrait et je m’aperçois qu’en effet, le bougre bien que paraissant jeune à des p’tits quelque chose qui n’apparaissent qu’avec la maturité, un front un peu plissé, l’œil un peu tombant, la carrure souple et une démarche définitive, pas mal de gestes précis bien polis par le temps et l’usage. J’avais été un peu dur, et je devais m’en excuser. Je borborygmise un truc qui a toutes les caractéristiques d’un mea culpa, et lui propose qu’on se pose un peu et qu’on réfléchisse à comment remettre le tout au carré, toutes choses égales par ailleurs.

On prend un banc d’assaut, et on silence pendant dix bonnes minutes. Soudain me vient une idée. Je propose un rendez-vous masqué, je reprends contact avec la miss, lui donne un rencard dans un bar, et lui passe au moment où qu’on cause, je lui fais un peu parler de son passé, la mets en confiance et puis après une transition les laisse ensemble, pour qu’ils s’expliquent, et le top serait un lounge tranquillou à deux pas d’ici. Il trouve que ça fait un peu téléphoné, sauf que je lui dis qu’elle sais pas que je l’ai rencontré lui, qu’elle peut pas se douter, et qu’elle pensera à un plan branchouille et je le mets rapidos au parfum de mes tentatives. Il rougit, bafouille un peu, il faut que je le calme, lui explique que c’est quand elle a causé de lui qu’elle s’était mise dans cet état, qu’il y a moyen de moyenner et que s’il a une meilleure idée, qu’il crache vite parce que je vais pas faire la nuit sur ce sujet, j’avais sommeil et que merde c’est pas mes affaires après tout qu’il était grand et que bon, je savais que c’était le seul moyen qu’il me restait pour avoir son phone à la chtite. Il opine, accepte le principe mais conditionne : pas d’entourloupes, pas de faux plan, pas de cabale, et que j’aille pas lui marcher sur ses plates-bandes parce qu’il y tenait à son p’tit lapin. Il me donne son phone, je le regarde dans les yeux, tout peinard et lui demande également l’autre, que j’avais l’adresse mais pas plus. Il le note à côté du sien et me tend le papelard, j’agrippe, lui aussi, on sourit, et lâche pas trop confiant. Je range le tout dans mon portefeuille en croco, et m’apprête à me tirer.

Il m’arrête en plein élan, et me propose tout de même un dernier verre avant clôture définitive. Je me tâte, j’le sens pas trop ce dernier truc, je préfèrerais me rentrer, qu’il était 5h30 à peu près et que demain j’avais ma journée, mais que je pouvais pas m’éterniser sinon, ben voilà mon week-end il était pas extensible que j’avais une vie et que m’enfin quoi, c’est vrai, j’ai sommeil. Il me demande comme une dernière chose mon téléphone au cas où. Je tique, prend une taffe d’air, et lui redemande une clope, pour la route, puis lui passe mon numéro. Il le note sur son portable, et m’appelle histoire de l’avoir en mémoire, je sors mon portable et lui dit que c’était bon. On se salue, et je me défile. A peine ai-je fait une dizaine de pas qu’il me rehèle. C’est une manie chez lui me dis-je, il court vers moi et me dit « Alors, tu décroches pas quand ça sonne ? »