La nouvelle vie parisienne: dimanche, avril 01, 2007

1.4.07

Lost in transit

Wa putain ! C’est laid, ça pue, c’est bondé, c’est crade, c’est donc ça La Défense ! On m’avait dit que ses gratouilles-ciel étaient des prouesses techniques, architecturales, un lieu d’étude urbanistique, un lieu qui réinventait la sociabilité, que son esplanade avait été intégrée dans une perspective parisienne, ben mon n’veu, on n’est pas rendu ! J’devine un chouille à quoi ça ressemble l’extérieur rien qu’à voir ce qu’elle a dans le ventre, La Défense. C’est un hall, avec des gens qui se croisent sans jamais se toucher, avec des enseignes hideuses, et un bruit insupportable. Ceausescu aurait kiffé grave, sûr, que des angles droits, des lignes parallèles, le tout bien haut de plafond, avec des manières de boyaux à emprunter dès que tu veux te tirer de là. Un univers concentrationnaire avec des contrôleurs et des flics, et quelques militaires pour réguler tout ça. Je suis content que ce lieu fasse désormais partie de mon quotidien, ça me rappellera l’importance de tout le reste, et que nous sommes bien peu de choses en comparaison. Eh oui ma bon’ dam’ !

J’avise un lieu qui ressemble à une sortie, j’y mène mes pas. C’est bordé d’un megastore culturel et de petites boutiques de fringues, c’est par là, me dis-je, me remémorant le long speech de l’aide de camp de mon patron, et prenez bien par là, c’est plus rapide. Je slalome, pousse une porte et m’arrête devant une pâtisserie réduite à son expression minimale, un autel où sont entreposés les créations locales, une caisse, un comptoir et une beurette au-delà. Y’a la queue, mais j’ai encore le temps. Je compte ma monnaie, et constatant que j’en ai de reste, je commence à discuter mon choix. J’hésite, à cette heure-ci c’est pain choco ou croissant, comme le pain choco est plus divertissant à bouffer, et que j’aime pas les croissants, le choix n’est pas trop compliqué. Pas de liberté, c’est plus efficace, z’ont tout compris ces gens-là. Quand vient mon tour j’annonce, on me sert un bout de pâte imbibée de beurre, je souris à la bonne blague et reprend ma route. Mimine la beurette. Je monte l’escalator, arrive au -1, comprenne qui pourra. Un bel espace qui sent le désinfectant avec fringues à volonté, puis nouvel escalator et nouvel espace tout pareil. C’est le déjà-vu perpétuel dans le coin, faut pas louper le numéro de l’étage, j’avais déjà connu ça aux Halles, mais en plus sale. Ici au moins ça pue le propre.

Je dois être à l’étage dit zéro, c’est par là que se fait la sortie définitive, elle m’avait dit au bout du couloir, tourner à la sortie Général machin, De Gaulle certainement. Le couloir se rétrécit rapidement, forme un sphincter qui répand ses flux dans une salle d’attente parsemée de bancs mous. Quelques travailleurs dépenaillés sont affalés là, ils semblent réfléchir à leur condition, mais d’un peu plus près, on remarque leurs yeux clos. Une sieste avant de prendre leur deuxième boulot de la journée. Ils sont poisseux et tristes, ce sont de bons ouvriers, durs à la tâche qui travaillent dans l’espoir de ne pas laisser creuver leur famille. Ça te fout dans l’ambiance. Un jour je serai comme eux, peut-être. Mais pour l’instant, je m’en branle, j’ai pas de famille à nourrir, il me faut de quoi payer mes sorties, ma binouze et le reste à l’avenant. J’en crèverai de finir comme eux, surtout ne pas fonder de famille, surtout pas de famille, surtout pas. Je ferme les yeux et me repète ça, putain pas de famille, j’en crèverai. Puis la sortie, annoncée par un gazouilli d’oiseaux morts, électriques, trop bien, le gars qui s’est installé près des hauts-parleurs a des yeux rouges, je compatis, petit échange de regards mais il peut pas le soutenir ça, le gars au comptoir, oubliez moi ! me fait sa calvitie, trace ta route, et laisse-moi en paix.

Je passe les lourdes portes verreuses, ben quoi c’est pas comme ça qu’on parle des portes vitrées ? et pose un pied dans un abris bordé de murs gris qui laisse entrevoir au fond les premiers rayons de soleil dont je profiterai en direct-live. Un mendiant me fait un large sourire en montrant sa casquette, je lui rend son sourire au plus vite et taille. Gloire à toi astre solaire ! Juste un rayon de ta part me réchauffe l’âme et le corps. Je ralentis ma marche pour profiter le plus longtemps possible de ce moment béni. Au bord des premières ombres, je m’arrête et tourne mon visage vers le soleil. Un soupir. Plein de choses me reviennent en ce court instant, tous mes souvenirs de bitures, mes prélassements, mon farniente, ça paraît plus loin tout à coup quand on en appelle à ses souvenirs, ça fait vieux tout de suite. Pourtant hier encore. Mais je dois en convenir, hier est mort ce matin quand j’ai commencé ma descente. Au diable les varices, des hiers y’en aura plein demain.

Et je reprends. Deux immeubles me proposent un passage vers un belvedère urbain de toute bÔtée, ils m’épaulent quand me vient un choc esthétique, une tour à gauche surplombée d’une publicité pour une marque de téléviseurs, un pont sur lequel passe un échangeur d’autoroute un peu au dessus de moi, une angle mort sur ma droite où s’entassent des restes de nature et au fond une route quasi nationale, un espace verdâtre et un toboggan rosacé qui glisse une foule piétonnière vers une bouche sans fond. Je dois pénétrer dans cette bouche dont l’orifice final est bordé par l’immeuble dans lequel je passerai au bas mot huit heures par jour. Et là, je dois avouer, j’ai eu comme un souffle au cœur. Jusqu’alors c’était juste assez trop, à présent ça déborde, je rêve d’une bière mais je me dis que je ne peux pas le premier jour refouler l’Amstel sans susciter chez mes interlocuteurs une sourde critique. Fi donc ! J’y vais.

Je traverse une route, monte sur le toboggan et zou ! en moins de deux j’en suis sorti et me retrouve au pied de l’énorme hémorroïde qui accueille depuis plus de dix ans ASP Etudes pour laquelle je vais bosser au moins aujourd’hui. Après, on verra. Un tourniquet fait office de porte, je le pousse, mais il semble bloqué, je force un peu, lève la tête et remarque que le gardien derrière le comptoir d’accueil m’invite à passer par une des portes qui bordent ce pourtant si amusant tourniquet. J’obtempère et le questionne du regard. Il me dit, « question de sécurité, y’a eu des agressions, n’importe qui peut passer par là. » Peut-être ai-je mal compris ses dires, ou le fin mot de l’histoire m’échappe, mais indiquant la porte que je viens de passer je lui fait remarquer que cela revenait au même, sauf que c’était moins ludique. Il se renfrogne et m’invite à me présenter. Je me décline à l’impératif qui m’invite à monter au quatrième, droite, ouvrir porte, droite puis gauche et sonner. J’acte.

L’ascenseur se fait attendre, quelques salariés fûtés arrivent par l’entrée arrière de l’immeuble, je salue leur ingéniosité et me décale légèrement afin que tous nous ayons une bonne vision de l’ascenseur à son ouverture. Il tarde. Un salarié se dirige vers une porte non loin de là et monte des escaliers. Il devait être pressé. Nous sommes cinq, tendus vers cette porte métallique, prêts à nous engouffrer. Mais toujours rien. Un pfff ! à ma gauche, et nous voilà six. Je soupire à mon tour, un commentaire fuse « C’est tous les jours la même chose » Pertinent, très pertinent. Enfin nous voici délivrés de cette attente, nous appuyons chacun sur le bouton de notre étage, même quand celui-ci est déjà allumé, un malin demande une fermeture plus rapide. « Encore cassé. » Puis notre Schindler se met en branle. Une personne au premier, deux au deuxième, une au troisième et moi au quatrième, le reste ne me concerne plus. Je suis le chemin que l’on m’a indiqué, ouvre une porte entre deux couloirs et arrive enfin au but de mon éveil matinal, le bureau du boss. Je frappe et une voix dit « Merde, mes clopes ! »

C’est bien triste par ici !

Ça faisait une paye que je ne m’étais pas tapé un long trajet dans les intestins de Paris. J’avais même pas de carte, et quand j’ai demandé au guichet de me refiler une poignée de tickets, je me suis senti un peu étranger à ce monde. Qui achète encore ses tickets de métro ? Tout le monde à une carte, une carte souvent électronique qui oblige les usagers à lever leurs lourdes sacoches de travail pour passer les tourniquets. Pauvres usagers, si fringants à l’aller, leurs haleines chlorophylées, leurs parfums vaporisés de frais, leurs habits bien repassés, leurs cheveux peignés, ils seront au retour plus ternes, ils sentiront moins bon, leurs habits seront froissés, leurs cheveux en bataille et leurs haleines seront détestables. Ils auront été oblitérés par leur journée. Comme je le serai moi-même. Mais pour moi, c’est une première journée, je ne tournerai pas si vite à l’aigre, j’ai encore en moi ce souffle, ce plaisir de la découverte, quel chemin prendre ? Vers quelle partie de la rame me diriger pour aller plus vite vers l’autre rame, de l’autre ligne, et dans celle-ci dois-je plutôt me diriger vers la tête, ou la queue pour sortir plus vite ? Vais-je prendre les escalators, vais-je marcher dans les escalators ? Tous ces petits détails qu’on oublie quand on est depuis longtemps dans le tunnel. C’est un jeu pour moi le métro en ce premier jour, un genre de découverte, quelque chose d’excitant. J’exagère un peu, mais vous voyez l’idée ?

Alors j’oblitère, je passe le ziguigui, je zyeute la ligne, la deux direction Porte machin, et je changerai à l’Etoile et pis ce sera La Défense. Quel bonheur ! J’arrive sur le quai déjà bien plein, me fraie un passage, et choisis le centre du train, la rame du milieu, un coin peu usité donc qui ne doit correspondre à aucune sortie sur le trajet. J’apprends après tout. Le train s’arrête et vomit quelques passagers, pas grand-monde, pourtant ça bosse pas mal dans mon coin, y’a des magasins, quelques bureaux, peut-être que tous ces braves travailleurs habitent dans le coin, à deux pas de leur turbin. Un quartier bien équilibré en d’autres mots. C’est bien, je sais pas pourquoi, mais je trouve ça bien. Je monte à mon tour dans le ver, me coince sur un bout de terrain entre une jeune demoiselle pimpante et sentant n’importe quoi de Cartier et deux travailleurs lambda tout ce qu’il faut, habillés tristes mais rasés de près. Je suis gêné par cette promiscuité prélaborieuse, j’angoisse de ce que peuvent dire tous ces gens autour de moi, de ma gueule, de mes habits, de mon parfum, bref de ma mise générale. Alors je regarde par terre, imitant les mimiques lointaines des quidams alentour. Il me faut un de ces petits lecteurs de musique que tout le monde semble posséder, me dis-je, ce doit être bien agréable dans une telle atmosphère d’avoir avec soi les sons de sa vie domestique, là, dans le fond de l’oreille. Et puis aussi un livre, histoire de monter ma bulle en dur, comme tout le monde.

Encore un, deux arrêts et je change de train. Entre-temps, quelques passagers ont été remplacés sans que cela ne bouleverse le dense agglomérat que nous formons malgré nous. Je pourrais vous parler de la vieille dame qui a tenté de grimper dans ma rame mais qui a dû y renoncer faute de place, je pourrais vous parler de cette dame avec sa poussette et ses deux enfants qui a exprimé son mécontement à ce jeune homme bien triste qui aurait dû se lever et lui laisser son siège, je pourrais vous parler du charclo qui insulait copieusement les voyageurs en transit sur le quai précédent, je pourrais vous parler de ce jeune beur et de sa trop grosse valise que beaucoup de passagers ont regardé avec méfiance pensant certainement qu’elle cachait une bombe, je pourrais vous parler aussi de cette petite fille adorable qui commentait les mines des voyageurs à sa maman qui virait vermillon, je pourrais vous parler de milliers de détails qui me sont arrivés sur la gueule en quelques minutes, mais bon, j’ai un peu la flemme et je ne m’en sens pas trop le courage.

Etoile. Descente générale, tout le monde se presse, tout le monde court vers l’avant du train et vers le centre du quai pour prendre soit la ligne de la Défense, soit le RER je sais plus combien. Alors je suis, je prends le pli général et je me dépêche, ce qui est fondamentalement con de ma part, je sais pertinemment qu’il y a une rame toutes les deux minutes, si je rate celle que je pourrrais prendre en me dépêchant, éh bien deux minutes après sa petites sœur débarque. Mais je ne veux pas me distinguer, j’ai gagné ma place dans la cohue, je me dois de tenir mon rang, alors je cours presque. Et malencontreusement, je bouscule quelqu’un.

- Faites attention enfin ! Ces gens sont d’une malpolitesse, et à quoi ça vous sert de courir comme ça, des trains, il y en a plein.
- Excusez-moi, dis-je clairement. Ma voix était sereine, je n’éprouvais aucun trac à parler simplement avec ce brave monsieur.
- C’est vrai, tous ces gens qui se précipitent…

Il entama un monologue, pestant contre « tous ces gens » tout en marchant d’un pas relativement rapide, mais pas assez pour ne pas causer de bouchon derrière lui. Je préférai faire une légère halte et reprendre mes esprits, non ! Je ne suis pas comme eux, non ! C’est mon premier jour, j’ai tout mon temps, je suis en avance, je n’ai pas à me laisser guider par cette foule de journaliers, je vais continuer à mon rythme et je préfère être bousculé que bousculeur et pester moi aussi contre « tous ces gens », parce que merde ! C’est vrai, quoi. Non ? Oh ! Donc je prends mon rythme, tranquille, je regarde les affiches, les publicités, devant le panneau des arrêts de la ligne une vers la défense je fais une halte, je relève le nom de toutes les stations, je les compte, je fais le touriste, ce que je suis en fait, c’est la première fois que je fais ce trajet, je pourrais presque prendre des photos et m’extasier un peu devant le génie des ingénieurs de la RATP qui ont pensé ce dédale, ces stations, ces sorties, et fermant quelques secondes mes yeux, je leur rend hommage. En bas des escaliers qui mènent sur le quai du métro, je suis rattrapé par les passagers du train de la ligne deux qui suivait celui que j’ai quitté. Effectivement, ça pousse au cul ce rythme, il faudrait que je m’y mette, avec moins de passion que la plupart des gens mais avec un certain entrain.

J’arrive sur le quai, le train aussi, surarchibondé. Les boules in petto-je. Je tente d’entrer, ça marche, les présents font de la place aux nouveaux, j’arrive à m’agripper aux barres verticales qui semblent constituer l’armature de la rame, de la longue rame même, une seule rame, avec accordéons en guise de séparateurs. C’est beau. Puis ça démarre. Ça cahote, et puis un vent nous traverse tous, une seule rame, ça fait beaucoup plus de place pour les courants d’air, je lève le pif et profite de ce vent parfumé. Tant d’espace ça détend, et ce malgré la superbe promiscuité du lieu. Stations après stations la population change légèrement, des détails le plus souvent, parce que tout le monde veut aller absolument à La Défense. La Défense c’est là qu’il faut être à cette heure de la matinée, c’est là que tout le monde doit se montrer pour être comme tout le monde, et tout le monde s’est passé le mot. Et je ne sais par quel miracle ce mot m’est venu aux oreilles, peut-être suis-je un inspiré, peut-être une voix divine m’est-elle entrée par les canaux auditifs. En tout cas, je suis la bonne voie. First will take Etoile then will take La Défense. Mais attention, il y a deux arrêts La Défense, le mien est le second, celui qui amène sous l’Arche, aux Quatre temps et au CNIT. Une voix nous invite à nous tirer de là et remonter à la surface, ce que je m’empresse de faire. Je suis en tête de rame, une sortie s’offre grâcieusement à moi, j’y cours presque, ce lieu me suffoque, en haut de l’escalator enfin les machinchoses qu’il faut passer et là, je ne suis plus dans les intestins de Paris mais dans son estomac.