La nouvelle vie parisienne: mardi, janvier 23, 2007

23.1.07

Des livres et moi

On a beau dire, on a beau faire, le temps passe. Et à part essayer de modifier l’ordonnancement de l’univers et l’ordre des choses en utilisant des cosmétiques, on peut rien contre. Malgré l’immense repos accumulé, je me sens fatigué. Mon corps se prépare au choc des réveils le matin, des lavages en vitesse et de la foule du métro. Il me faudra traverser Paris pour atteindre mon bureau, mon espace de travail, mon unité de production, ou quoi sais-je encore. Faire deux changements, et perdre au bas mot une heure à l’aller et autant au retour. Peut-être avec le temps je trouverai des raccourcis, des itinéraires plus rapides ; mais au début, je reste dans la ligne, je fais au plus simple, je vais du plus proche au plus proche en prenant le chemin le plus droit. Sagesse pratique.

Les séparations sont expédiées, pas de dernier verre ou de bout de chemin ensemble, chacun trace sa route, et de toute façon demain on se revoit, et après demain, et les jours qui suivront. J’arrive en une clope à la maison, je pose ma veste et suis pris d’une irrépressible envie de contempler, de me mettre en veille et d’admirer quelque chose, en fait d’être en admiration quelque soit la chose devant moi. Je m’assieds et observe mon salon. Chacun des objets présents, je les connais, je sais leur histoire, leur provenance, leur utilité, et pour certains leur avenir. Je m’arrête sur la bibliothèque, l’étagère du centre, celle juste au dessous de l’exact milieu, un livre dans la rangée au centre mais un peu sur la gauche, il est à l’envers et je rentre dans autre chose, je revois certains moments, des émotions liées à cet ouvrage, les personnages, les lieux, les actions de chacun, puis l’histoire dans toute sa complexité. Et puis ces mots, ceux qui m’ont ému, la simplicité du style, des situations, des émotions. Tout est là d’un bloc sous mes yeux. Puis je passe au livre à côté, c’est autre chose, il est plus gros, plus complexe et certains passages ont été zappés, je retombe un peu, et je décide de choisir plutôt que de me laisser guider par mon regard. Je vais à l’autre bout de la rangée et je suis à nouveau transporté dans un univers dans lequel j’ai pris un immense plaisir à naviguer, j’y retrouve des héros, des aventures, des serviteurs zélés ou fourbes, des rois et des vilains, j’en souris. J’ai passé beaucoup de temps dans cet univers mais à présent, il n’est plus qu’une série d’actions sans le lien que je cherche maintenant dans les livres.

J’exige d’un livre qu’il m’en dise toujours plus sur moi. Qu’il soit tout à la fois miroir, puit de vérité et oracle, qu’il parle sans détour ou par énigmes, et je n’exige même pas qu’il ait un début et une fin, une histoire ou un semblant de récit. S’il m’a permis d’accéder à un petit bout de moi-même, quelle que soit son indigence, il sera des livres de ma vie, de ceux que je garderai dans ma bibliothèque, quel qu’ait été l’âge duquel il me parlait. Ces petits sauts dans les livres de mon passé me détendent, ils m’offraient la respiration dont j’avais besoin ce soir-là, ils me permettaient de revoir des horizons disparus, de retrouver des chemins parcourus, des balades, et certaines plaines majestueuses où je me suis longtemps arrêté. Je me souviens de Martin Eden, de Notre-Dame de Paris, des Trois mousquetaires, de Dune, des Sept piliers de la sagesse, et Sana et Palahniuk, et Duby, et Marx. Certains sont là encore sous mes yeux, d’autres n’ont jamais été là, toujours de passage mais toujours là parce qu’il y avait un lien vers eux, un livre qui dit une époque, qui dit un lieu, qui dit des mots, des livres.

Puis je change de rangée et je continue le jeu jusqu’à ce que plus rien ne me vienne en tête, que le jeu s’achève de lui-même, parce qu’il faudrait que je me lève pour regarder derrière ces livres, la seconde rangée, celle des livres vraiment importants, ceux rangés en premier, parce qu’on les aime plus, parce qu’on veut les protéger plus vite. Passer au second rang m’aurait pris trop de temps, et puis je me connais, j’aurais dérangé tous mes livres, les aurais reclassés par auteur, ou taille, ou couleur, ou collection, suivant l’humeur, cela aurait duré trop longtemps, puis il fallait se baisser, et j’ai trop mal aux genoux. Je marche trop.