La nouvelle vie parisienne: lundi, novembre 20, 2006

20.11.06

Une dernière pour la route

« Ah ! Coucou. » Surprise relative. Tout est dans le relatif, le lieu, l’heure, les idées qui viennent, l’état général, tout était réuni pour que le cerveau batte la campagne, que les souvenirs reviennent, s’ébattent devant soi comme des petits Trolls, un peu ridicules, gauches, taquins. Dans un coin de ma tête je pensais à elle, sans le vouloir, sans m’en soucier véritablement, et il semblerait qu’elle aussi avec un petit moi dans une case, en train de gigoter. Nos regards disaient tout cela, malgré nous. On se bise, avec la chaleur des gens fatigués, un peu mollement mais en faisant bien la claque. Elle me dit sortir d’une soirée, pas très loin, que normalement elle aurait pris un tacos mais que là, elle se sentait de marcher un petit peu, histoire de se retrouver après toute cette agitation. Je lui explique que moi aussi, j’ai vécu une soirée un peu agitée, que j’ai fait des rencontres improbables, que Paris c’est tout de même quelque chose. Elle sourit à ma remarque et me propose de prendre un thé chez elle. Je marque une hésitation polie, et accepte son invitation. Nous achevons ensemble la montée des marches, tournons sur Lamarck et descendons un peu la butte jusqu’à ses appartements.

J’avais une fois eu l’occasion de prendre un verre chez elle avec des amis, il y a fort longtemps, nous devisions plutôt dans des bars, pendant les saisons chaudes, un regard critique porté sur la foule des bobos locaux. Nous avions quelques goûts communs qui alimentaient généralement des débats fort bien construits ma foi. C’était très parisien, elle était très classique, moi plutôt moderne, elle aimait Dostoïevski, moi London, elle écoutait du Verdi, moi du Coltrane, elle vénérait Caravage, moi Picasso, elle Murnau, moi Kurosawa, mais fondamentalement, elle était Slave et moi Anglo-saxon ; nous trouvions toujours un terrain de discussion. On se retrouvait dans ce goût immodéré pour ce qui est mort, ce qui est laissé en friche, donné aux vivants, irrémédiablement. Nous portions le même regard sur nos congénères, une curiosité froide, même si elle l’exprimait dans la proximité et moi dans la distance.

Une fois dans ses appartements, elle m’invite à me vautrer dans un canapé horriblement confortable. Et pendant qu’elle se change, je sombre légèrement. Le thé est prêt, elle nous sert et me secoue légèrement. J’émerge, je cligne un peu des yeux, m’ébroue et me met en position thé-tchatche. Elle revient rapidement sur sa soirée, les gens qu’elle y a rencontré, quelques notables, quelques collègues de bureau, une vieille copine d’Université, les musiques sur lesquelles elle a dansé, ce qu’elle a bu. Elle me dit qu’il y avait là un jeune écrivain qui lui faisait furieusement penser à Raskolnikov, il venait de publier son dixième roman, peut-être son premier succès, qu’il avait toujours écrit, ne voulait vivre que de cela, et se retrouvait souvent dans ces soirées un peu mondaines pour se faire connaître, parler de lui mais surtout faire parler les autres pour qu’ils se souviennent de lui. Ca fonctionnait, c’est ainsi qu’il avait trouvé son premier éditeur. Mais depuis quelques mois, il lui semblait ne plus avoir la fièvre des premiers temps, cette envie immonde de réussir dans le milieu littéraire, il avait beaucoup souffert de ses multiples renoncements, il sentait que ce n’était plus lui qui écrivait mais la masse des gens qu’il était obligé de voir, de séduire, de caresser dans le sens de l’ego. C’était triste, mais en même temps il émanait de lui une force peu commune qui lui rappelait un peu ce que je lui racontais sur Martin Eden, un homme qui s’est fait seul pour entrer dans un milieu qui le détruit à petit feu. Elle avait la sensation qu’il finirait comme lui.

Bien triste histoire ma foi, lui dis-je. Pour ma part, ce que j’ai vu pendant ma soirée m’a bien requinqué, des gens étranges, mais très humains, faibles et obstinés, qui se cherchent une place dans cette ville de fous. J’ai surtout insisté sur ce jeune homme triste d’avoir fait un mauvais choix, mais qui mettait en œuvre des moyens dérisoires pour les dépasser. A la deuxième tasse de thé, je la préparai à mon départ, et lui demandai ce qu’elle devenait réellement, dans sa vie quotidienne. Une vie sans vie, toute de travail, sans repos, avec parfois une petite coupure pour se redonner l’énergie de continuer son labeur. Prolétariat intellectuel, lui sortis-je. Presque approuvait-elle cette remarque un peu sévère. Mais elle y trouvait son compte, après tout Paris ce n’est que ça, une vie de travail avant fermeture définitive et retour à ses racines.

Je me levai définitivement, repris mes frusques, m’étirai et la bisai sur un à la prochaine, tu as mon numéro n’hésite pas. Une fois les marches descendues, je fis cavaler mes papattes vers Anvers, sans regarder nulle part ailleurs que devant moi, je craignais une nouvelle rencontre. Il était 7h30, j’étais pour le coup épuisé. Le métro à cette heure était encore peu rempli. Samedi matin ce sont surtout les touristes qui l’utilisent. Ce n’est que plus tard que les Parisiens reprendront le dessus. Je me posai sur un strapontin, les jambes étalées, les pieds sur la barre, un peu en hauteur et je regardai distraitement les diverses publicités qui jonchaient le plafond, les murs et même le sol de la rame. Rien de remarquable, le tout venant matinal, peut-être un petit groupe de japonais très Kawaii, semblant sortir d’un manga pour filles. Rome une fois atteinte, je retrouvai mes repères, enclenchai le guidage automatique et me retrouvai enfin chez moi. Je m’écroulai dans mon fauteuil Ikéa, m’allumai ma dernière clope, zyeutai mes mèls de la nuit, puis pliai définitivement boutique après un lavage énergique de mes quenottes. Je m’allongeai enfin et sombrai.

Je ne peux pas dire que ce fut une nuit sans rêves, on en fait toujours, le plus dur étant de s’en souvenir. Ben pour une fois, j’en avais un, un gros, bien costaud, avec des trucs tout zarbis. Ca commence dans une clairière, dans une forêt quelconque, je suis tout habillé de bleu, j’ai un iPod aux oreilles, et je cours. Chose rare, je ne cours jamais, mais bon c’est un rêve et comme dans tous les rêves, y’a des trucs absurdes. Je cours, et plus je cours et plus mes jambes sont lourdes, je remarque au bout d’un moment que je m’enfonce dans une boue verdâtre, mes jambes changent de couleur, elles deviennent vertes et je perds mon futal. J’arrive à me décoller de là, mais je me retrouve en slip, et au milieu d’une rue avec des gens difformes autour de moi. J’arrête ma course et observe. Je sens qu’on me touche le cul, je me retourne et je vois un énorme ver qui me dit Plaque !, je tombe à la renverse et le ver me monte dessus, je lui casse la mâchoire d’un coup de tatane et me remets à courir le plus vite possible, je bouscule des formes qui à chaque fois me crient un truc imbittable. Rapidement je tombe sur une impasse, mais je m’en fous, je casse un mur et me retrouve dans une grande salle, genre salle de bal, avec des gogos habillés vieille France, un peu comme dans un rallye, et vois pleins de visages familiers. Je me remets à courir, je fends la foule et me retrouve dans la clairière avec un livre dans la main. Un truc de Machen, je le jette par terre et il en sort un nain avec un sourire atroce, des dents noires et pointues et il crie un truc incompréhensible mais effrayant. Je crie à mon tour et cours. Je rentre dans un arbre, touche mon visage, il est déformé par le choc, puis mes bras deviennent très lourds, je sens tout mon corps se dérober. Je tousse, je crache, je vomis des bestioles, des cafards, des vers, des grenouilles, et rentre en transe et me retrouve une fois encore au milieu de la foule, tout le monde crie. Un putain de réveil ! J’étais tout suant. C’étais la fièvre. J’avais trop fumé, chopé je sais pas quelle saloperie, traversé trop de courants d’air. Je sentais que ce samedi allait être un vrai samedi de merde.