La nouvelle vie parisienne: mardi, novembre 14, 2006

14.11.06

Inévitablement, y'a une suite

Bon, je dis début peut-être avec un peu de légèreté, parce qu’en fait elle a commencé depuis déjà quelques temps, et si je jette un oeil sur mon portable (j’ai pas de montre ça fait chochote même les montres classes, j’aime pas alors je cherche toujours des arguments, genre ça gêne, c’est lourd, et puis ça te marque socialement et comme j’aime pas trop ça non plus, ben j’en mets pas, et je suis sûr qu’y’a encore plein de choses à dire mais ça ne vaut pas trop la peine de s’appesantir sur un truc inutile, alors je la referme) et vois qu’il est déjà tard, mais pas trop, 23h12, mais j’ai pas l’heure exacte. Comme j’ai commencé ma virée vers 18h et des brouettes, c’est pas difficile de tirer cette conclusion simple que mon histoire elle a déjà bien débuté. Donc nous nous installons dans un recoin pas trop occupé, en poussant quelques affaires « je peux ? », merci, et nous nous installons un peu comme ça, sur les rebords. Elle a quelque chose de classe dans sa manière de s’asseoir, et ça j’y suis sensible vu que moi c’est plutôt équilibre sur une fesse, tortillage, inconfort, dos rond, où que j’mets mes mains, les bras plutôt comme ça manière de réfléchir ou tranquille j’ai l’habitude je vis avec depuis longtemps, en plus j’ai pas beaucoup d’espace pour mes jambes donc inévitablement le premier truc qui lance la conversation, c’est oops, désolé, non je te fais pas du pied, mais ça on le dit avec les yeux, et petit sourire un peu complice. J’me désole dans ces moments, mais ça présente bien, et les filles aiment bien les gars un peu lourdeaux, pas trop bien dans leur peau, ça fait plus humain, moins macho, pour tout dire touchant si ça prend pas des proportions exagérées.

Elle fait les premières phrases cohérentes qui lancent le dialogue, car c’était à peu près ça, deux personnes qui échangent des termes suivis et qui s’écoutent l’un l’autre. Avec les mots, c’est vin blanc (boisson sympa et qui fait mode) plutôt sec (ça c’est plus perso), pas de cahouètes l’apéro est un vieux souvenir, mais des clopes. Au bout d’une demi heure j’en avais déjà fumé trois, elle une, on avait passé en revue son trimard et le mien, sa crèche et la mienne, sa famille et on causait de la mienne, mon passé en revue, et au fil des phrases ça sentait le rapprochement, le toi aussi, comme c’est drôle (jamais dit ça, mais c’est l’esprit), les grands valeurs de la vie et toutes les choses qu’on sort quand on est en confiance avec quelqu’un de pas trop con devant soi. Une affaire qui roule. Mais parler, c’est pas tout, au bout d’un moment, il fallait se dégourdir les cannes, changer de lieu.

En sortant, je me faisais à moi-même la réflexion que c’est un miracle qu’on ait pu se causer aussi tranquillement malgré la force du volume des morceaux piratés sur Internet par le tenancier, l’état déplorable de l’aération, et la promiscuité du voisinage, j’avais l’impression d’être sur une chaîne d’abattage-enfumage avec hurlement du bétail qu’on égorge. J’avais d’ailleurs un début de quelque chose à la gorge, trop de clope et trop de comment ?! Pourtant nous étions presque l’un contre l’autre, j’ai même senti son haleine, pour mon plus grand trouble.

La devanture du bar faisait un joli fond pour une discussion plus souple avec une jolie fille, un peu dans l’esprit d’un Godard avec allumage de cigarette et regards dans le vague, « que faire à présent » et autres grands questions métaphysiques. « Je connais un bar plus tranquille à deux rues d’ici. » C’étais moi. Je reconnaissais pas trop bien ma voix pour le coup, et je puis dire que c’est le seul moment où il est bon d’avoir un minimum de volonté, c’est quand on sent que c’est quelque chose en soi qui parle à notre place, un truc plus profond, plus fort, un peu ce que nous sommes réellement bien poli par les courants de l’habitude. Un truc comme ça, qui emmène large. Nous fîmes route côté à côte, chacun avec son propre rythme de jambe, moi chaotique mais lent, elle plus lié et plus rapide, mais en prenant notre temps, évoquant un ou deux moments, pas plus, quelques petits restes de la conversation précédentes, des petites mises à jour, des petits trucs en plus qu’il fallait dire, et surtout il y avait ce jeu, en fin de compte délicat quand il est pratiqué dans les règles, de ne pas mettre les pieds dans le plat, d’attendre que ça mouline bien pour commence à caresser la possibilité de peut-être à un moment pouvoir effleurer le truc, bref parler cul. D’abord les sentiments, bien présenter, après on peut y aller, c’est écrit en gros dans le grand livre d’or du bien causer dans la vie moderne.

Le bar est en vue, et plus on s’en rapproche et plus je sais qu’il est fermé. Et honnêtement c’était pas prévu, parce qu’on pourrait croire que c’était un truc pour proposer d’aller s’en jeter un dernier à la maison avec approche grand style, musique légère, lumière tamisée, rien de tout cela, pas aussi tordu que j’suis, et quand elle remarque l’inévitable elle me propose d’aller chez elle. Na ! Parce qu’une fille quand elle commence à bien causer, ça ne s’arrête pas à des broutilles, même sous l’eau, ça continue la jactance, c’est pas un simple encombrement qui peut arrêter trois tonnes de mots lancés à 360 000 km la seconde. Faut épuiser un stock inépuisable et y’a que faute d’audience que ça se tasse, même si en interne le blabla n’est pas fini. Mais contrairement à moi qui suis à plus très loin (je suis un gros hypocrite parce que j’avais un peu prévu le coup, mais chut !) elle est à une trotte de chez elle et comme le métro a baissé le rideau, me vient une idée lumineuse « comme ça je te ramène ». Alors qu’y avait aucun besoin d’en rajouter, mais ça détend toujours un peu, y’avait pas ce petit regard coquin et malicieux, il était tout de suite rabroué, mis au rencard, d’un pas bouger ! aux pieds ! dit avec un petit truc classe. Bref, super bien vu mon grand. Derechef, on agite nos papattes vers un autre lieu que j’imaginais bien propret, tout fleuri, avec tentures et tous les zigouigouis des gonzesses, mais j’en faisais pas un drame, la découverte des intérieurs, j’aime bien ça.

On fait le grand défilé des immeubles haussmanniens, on change d’époque en tournant un coin, ça c’est giscardien, ça c’est du pur De Gaulle millésimé Pompidou, un truc classe très XVIIIème (c’est la Banque de France), puis ça n’arrête plus, mon regard se porte un peu partout en même temps, j’avais pas encore eu l’occasion de passer par ces rues, et y’a pas un immeuble qui détonne, tout est nickel, refait à neuf avec stucs et dorures, super beau, mais vu mes moyens et mes habitudes, je pouvais pas connaître quelqu’un du coin. On étire la route encore un peu et voilà le travail, le pallier de la belle se présente à nos pieds. Elle tape son code, me donne quelques indications sur l’intensité du bruit autorisé, le fonctionnement du système de protection, et du système électrique en passant, l’entretien général du lieu et commençait même à en évoquer l’histoire quand nous entrâmes dans le lobby. Une façon de vieux musée de province imitation château écossais, un morceau de bravoure, avec grands miroirs de part et d’autre pour agrandir un couloir qui n’en avait pas vraiment besoin. Nous façons la porte qui ouvre son couloir, le B. Nous montons, elle d’abord. Et je ne peux m’empêcher de deviner les formes que cachent cette longue jupe de ville, et de remarquer qu’elle porte des talons vachement hauts. Sans, elle doit mesurer pas plus d’un mètre cinquante, mais j’ai pas la vision ingénieuse. Ca me fait tout chose, il a fallu qu’elle me domine pour que je remarque que je la dépassais d’au moins une bonne tête. Cela ne refroidit que légèrement mes ardeurs, il faut que je pense à d’autres choses, que je prenne l’air de la personne pas trop concernée par ces choses-là, alors je le fredonne par quelques mots simples et qui sont censés démontrer mon total détachement. Enfin, devant la vraie porte de son appartement, elle me demande de faire pas trop de bruit, car un enfant y dormait.