La nouvelle vie parisienne: jeudi, décembre 14, 2006

14.12.06

Shakespeare in love

Il était tout désolé de m’avoir fait attendre quelqu’un pour rien, à quoi je répondais que j’avais pas attendu puisque nous parlions, que j’étais ravi de faire sa connaissance et tout et tout. Il fallait se mouvoir à présent, vaquer à nos occupations. On se donnait un genre de rendez-vous au dimanche suivant, même lieu, mêmes lectures. Après un échange de poignée solide nous filions chacun sur nos chemins respectifs et divergents. J’avais dans l’idée une petite station Parc Monceau, regarder les gens qui passent, qui courrent, qui s’embrassent, qui parlent, regarder les autres faire des choses pendant que je lirai. D’un oeil. J’étais à une clope du parc, longeant ses grilles j’observais des photos exposées, des paysages exotiques, grande spécialité du lieu. Une série sur les Touaregs, leur quotidien. Je restai un moment devant une de ces photos, un superbe visage auréolé de bleu. “Superbe, n’est-ce pas?” Il fallait en convenir, ce que je fis en jetant un oeil sur qui venait de faire cette remarque juste et définitive. Un petit vieux, qui s’en allait déjà. Je le regardai s’éloigner.

Il y a tellement de monde à Paris que les occasions de croiser quelqu’un avec quelque chose sont très largement supérieures que dans n’importe quelle autre ville de France. Alors que les chances qu’une telle chose advienne sont à peu près équivalentes. Mais voilà, ça circule tellement, on vit tous les uns sur les autres et en telle quantité qu’inévitablement... Alors marcher tranquillement dans la rue est un exercice incomparable. On ne sait plus où donner de la tête. Mais pour voir quoi? Paris n’est pas spécialisée dans le beau. Rien de remarquable en soit. Rien d’extraordinaire, si ce n’est cette formidable accumulation de quotidiennetés, de choses très communes mais à un stade de concentration tel qu’il en sort quelque chose de très spécifique. Paris est une ville d’occasions, de milliers d’occasions, de milliers d’occasions de choses différentes. Tout n’y est pas possible, mais rien n’est moins impossible qu’ailleurs et un regard lancé par hasard dans n’importe quelle direction renvoit des milliers de stimuli. Quand on voit tous ces parisiens qui marchent dans la rue dans leur grande solitude, on ne peut qu’être effrayé au premier abord, mais dès que l’on s’arrête un instant pour commencer un semblant d’échange, on se rend compte que tout le monde n’a qu’une envie, c’est échanger, parler, se découvrir. J’exagère à peine. La foule n’est pas assez dense ici pour désindividualiser totalement, il y a assez d’espace entre les parisiens pour permettre des milliers d’intéractions. La juste distance pour le regard.

Voilà pourquoi j’apprécie la marche à Paris, puis de m’arrêter dans un lieu de passage, et d’observer. Et d’être observé. C’est le fameux “World is a stage”, Paris est une grande ville d’acteurs et chacun y cherche son meilleur rôle. Je n’ai pas ressenti cela à Londres, Rome ou Barcelone. Mais peut-être est-ce la même chose là-bas, qu’il faut y rester plus longtemps pour observer ce phénomène. Peut-être qu’après tout, Paris n’est pas si originale que cela. J’en étais là de mes réflexions quand je décidai de continuer ma route jusqu’à mon point de rendez-vous habituel avec le Parc Monceau.

Une fois la grille principale atteinte, tout devenait automatique, j’avais tellement ce chemin dans les jambes, que je pouvais, les yeux fermés, arriver jusqu’à ma destination. S’il n’y avait tous ces coureurs. L’entrée passée, je tournais à gauche, prenais l’allée, longeais le point d’eau, laissais le grand saule sur ma droite puis atteignais mon banc, celui auquel il manque une latte, celui qui fait face à l’intersection des trois chemins de l’aile est du parc, derrière le bac à sable. Personne n’occupait mon banc ce dimanche. Je m’y installais, le soleil l’éclairait . J’avais devant moi un grand espace vert où une centaine de personnes se reposaient. En grande partie des couples, jeunes. Sur les allées passaient des coureurs, des parents avec leurs enfants, et un petit groupe d’ânes, attraction très appréciée des gamins. Et je restais une bonne heure, là, tranquille, reposé.

La faim commençait à poindre le bout de sa fourche. Il me fallait lever le camp. Soit je rentrais à la maison me préparer un encas, soit je m’arrêtais à une boulangerie pour prendre un sandwich et continuais mes pérégrinations dominicales. J’hésitais, car la première solution mettait fin, je me connais bien, définitivement à ma ballade. Mais la seconde pouvais également s’achever de la même manière, suivant l’état dans lequel me trouverait le pallier de la boulangerie. Je fouillais mes poches, comptais ce qu’il me restait de monnaie. Tout était possible, j’avais de quoi voir venir. Cela ne résolvait rien. Il me fallait prendre une décision sans aucune aide extérieure. Comment me sentais-je? Avais-je encore la force de marcher à l’aventure? Avais-je encore l’envie de voir du monde? Je pouvais également passer quelques coups de fil, proposer des rencards, ou aller au cinoche, ou encore rentrer et lire, ou regarder la télé, ou encore... Je décidais de passer outre ma faim et d’aller faire un tour du côté de chez Charlotte, juste pour voir. Je ne connaissais pas bien ce coin du XVIIème, les immeubles étaient pas mal, et la faune locale peu nombreuse. Peut-être une bonne transition vers la maison et sa solitude confortable?

Je prenais le chemin des grilles puis la route qui s’ouvrait devant moi. J’avais dans un coin de ma tête l’intention de donner à ce cheminement une coloration un peu mystique. Il devait en sortir une décision. Je ne voulais rien de définitif, mais créer des conditions. Je sentais qu’il était inutile de continuer à y penser, mais malgré moi elle m’apparaissait. C’était peut-être un signe? J’avais été troublé par cette jeune femme, c’était certain, mais elle n’avait pas cette réalité nécessaire à l’action. Elle n’était qu’un trouble, pas une forme nette, un souvenir auquel il manquait une myriade de détails, je ne pouvais dire la couleur de ses yeux, ou de ses cheveux, j’avais vaguement encore en tête la forme de son visage, quelques échos de sa voix, mais rien de précis, d’objectivement descriptible. Ca me turlupinait. J’entamais le chemin sur cette considération.