La nouvelle vie parisienne: mercredi, janvier 03, 2007

3.1.07

Un bien bel échec

Se poser ainsi un bon moment, à table, dans le calme, ça réconcilie avec la vie. Le cœur bat doucement, le corps retrouve une température unique, les yeux se reposent, les sentiments exprimés sont liés, les gestes calmes, et l’air autour est serein. Tout coule. Quelque chose de complet est atteint. Et c’est tout. Rien ne peut ressembler à ces moments-là que ces moment-là, moments uniques qui dépendent de tellement de choses qu’il est impossible de les répéter. On y passe une fois par ce chemin, on y laisse sa marque qu’une fois, une fois pour toute, et quand on se retourne juste pour voir, pour garder ce moment en mémoire, on ne voit rien, tout a déjà disparu et le moment suivant n’est plus le même. On sait que rien n’a été comme avant et que jamais rien ne lui ressemblera. Et après, on ne fait que descendre, le corps change de température, les mots viennent moins facilement et on ressent comme un manque, un léger regret de ne pas en avoir profité plus longtemps. C’est fini. Quelque chose s’est achevé sans que l’on puisse dire exactement quoi, et pourquoi c’est vraiment fini. Nous étions sur le canapé quand tout est arrivé. Elle venait de parler, m’interrogeait du regard, le dos droit, les deux pieds bien appuyés sur le sol. La main tendue vers moi.

Je ne sais pas ce qui m’a pris à ce moment de ne pas la saisir, j’étais un peu lointain, je jouissais de mon état. Sa main se reposa sur sa cuisse, elle s’affala sur le canapé et pendant une bonne minute, nous ne dîmes plus rien. J’avais le regard dans le vide, elle semblait réfléchir à quelque chose. Elle se leva et me proposa de partir, qu’elle était fatiguée. En quelques instants, c’était plié, il n’y avait plus rien à faire ou à dire. Je n’avais qu’à lever le camp, me déployer et virer vers chez moi. Deux bises et j’étais dehors. Rien en moi ne contestait ce départ, il était naturel, c’était la seule et meilleure chose à faire. Partir. Et peut-être oublier. Dernier échange de regards et puis la porte. Dans l’escalier je pensai à autre chose, comme si rien ne venait de se passer, je rêvassai, tout en comptant les marches. Ce n’est qu’une fois dépassé le coin de la rue que me vint en tête cette idée que je ne la verrai plus, que j’avais complètement merdé cette rencontre. Je ne m’en voulais pas, c’était comme ça. C’était inscrit quelque part. J’en garderai le souvenir.

Sur le chemin, rien ne vint occuper mon esprit. J’étais dans le vide, le silence dedans. Mon regard ne se posait nulle part, rien n’illustrait mon champ visuel. Pourtant je pouvais voir toutes les formes alentour, nettement si j’en avais eu le besoin. Or, tout ce qui m’entourait m’était inutile, quel usage faire de tous ces stimuli visuels, auditifs, olfactifs, quelles idées pouvaient germer de mon extérieur. Je sentais mon corps avancer dans la rue, mais rien n’avait la pâte du réel. Tout devenait impalpable. Les rares personnes que je croisais se limitaient à leurs ombres, pas de visage sur ces corps en mouvement. Je vagabondais, avec pourtant comme buts ma rue, mon escalier, mon appartement. Et rien de plus.

Une fois la porte refermée, je me retrouvai seul. La lumière crue de mon plafonnier donnait quelques reliefs aux affaires éparses du salon. Chaque ombre tranchait son support, la table s’enfonçait dans le sol, le livre dans la table et mon regard caressait doucement les bords souples du seul livre là debout au milieu de ce petit espace blanc, au centre de mon univers domestique. Je m’assis dans mon fauteuil, devant mon ordinateur, je l’allumai et commençai à écrire.

« Plus rien ne vaut que je déplace ce corps neuf que je me suis fait. Et ma prochaine étape se montrera d’elle-même. Et demain m’accueillera dans un sourire enfantin »

Je n’arrivai pas à aller plus loin que ces quelques mots. Pourquoi attendre seul qu’un nouveau jour arrive. Autant s’endormir et profiter de la richesse de ses rêves pour faire que demain arrive plus vite. Une fois déshabillé, je n’avais plus qu’à faire une toilette sommaire et m’allonger, et attendre que la nuit passe. Je me fis cette réflexion qu’à force de faire se passer le temps, je n’aurai plus grand-chose à deviner par dessus mon épaule. Chaque jour vide efface mon chemin. Demain ça ira mieux.