La nouvelle vie parisienne: mardi, janvier 16, 2007

16.1.07

Back to reality

J’ai le sentiment d’avoir passé une partie de ma vie dans ce brouillard, où les seules choses réelles étaient celles auxquelles je pouvais me cogner. Pas de réalité sans coup, et tout le reste avait le caractère du songe. Et peut-être qu’à force d’avoir des bleus, j’ai fini par, inconsciemment, tout faire pour éviter ce contact un peu abrupt avec les choses, préférant imaginer un peu plus pour souffrir un peu moins. Et penser à la prochaine chose que je pourrais faire, c’est surtout penser écorchures, douleurs, voire fêlures, c’est se dire qu’il va falloir affronter, quand en penchant légèrement la tête sur le côté, un monde bien plus doux et bien plus riche s’offre à moi. C’est mon monde. Il y a à Montmartre une maison étrange, inquiétante si l’on se laisse aller à imaginer ce qu’elle était : la maison des brouillards. On peut l’approcher par un passage qui nous la présente dans toute sa gloire mystérieuse. Je ne l’ai toujours sentie que troublée. Il suffit que je ne puisse l’atteindre pour qu’elle change d’univers et rentre dans ma manière de faire avec la réalité. D’ailleurs, cette manière d’être ne concerne que moi, elle n’implique que moi puisque tout ce qui a le caractère de la dureté (mais ce peut être mou) ne peut faire partie de ce monde. Je suis la seule chose qui a de la forme et de la substance. Je suis toute la substance de mon univers.

Alors, que je lui parle, que je la touche, la prenne dans mes bras, l’embrasse, la cajole ou l’ignore, c’est la même chose. D’une certaine façon. D’une certaine façon qui à ce moment précis me convenait parfaitement. Elle m’évite un coup. Ou une écorchure, une éraflure, bref un fil rouge. Le moment qui venait de passer était irrémédiablement fini, je pouvais à mon tour sortir et reprendre ma route vers la fin de ce lundi, entamer le jour suivant et atteindre enfin le but de tout ce manège, le jour d’après demain, le premier jour des jours qui suivront ma nouvelle vie parisienne, la clôture du temps des jours anciens, une manière de dernière cigarette, de dernier verre, celui qui doit signifier que je pouvais arrêter mais qu’il me fallait en passer par là pour montrer que j’ai le pouvoir de limiter cette consomption. Mon monde est peut-être virtuel à vos yeux mais il ne me détruit pas, il me préserve, il me réconforte, je l’ai bien en main. Il est à ma forme.

Je vais pas me laisser emmerder par des considérations trop générales non plus, faut pas déconner. Car à trop penser ce que l’on est, ou ce que l’on fait, on reste là, à penser à des trucs, on s’laisse dépérir, le ciboulot en vrac. Pas mon truc. J’avais pris un pli qu’était pas trop jouasse, mais ça m’faisait du bien d’avoir cette espèce de malaise, un peu ado dans les coins, prise de tête un peu gnangnan, bref comme des idées de gonzesses mal baisées. Je reprenais du poil de la bête en m’soliloquant de cette manière, me bouger le cul et faire quelque chose de sympa de cette soirée qui s’annonçait. J’étais à deux monuments de mon quartier, une idée de coin pour siroter et discuter. Mon bar de lecture avec une chouille de monde. J’avais fixé la cible. Deux coups de fil et y’avait là de la substance pour passer un moment vraiment sympatique. Tout était prêt pour vers 21h. J’avais un poignée de quarts d’heure devant moi. Je pouvais me poser un moment à la zon.

Rien de remarquable sur le trajet, le Paris du soir qui commence, des personnes qui flânent encore un peu au sortir d’une journée de reprise du travail, les alentours de Saint Lazare sont dégarnis, le rush est passé, ceux qui devaient rentrer sont rentrés, les clodos du coin ont repris leur territoire, la rue de Rome distille encore quelques passants, puis Chaptal, puis la rue des Dames et puis. At home, je refais mon parcours habituel du café à l’ordi, quelques morceaux choisis sur iTunes, notamment mon podcast favori, celui des Inrocks, puis reprise de quelques canards qui traînent, une vaisselle, rafraîchissement dentaire, changement de mise et sortie. En cinq minutes je suis aux Caves, je m’installe à ma place habituelle, commande un verre de blanc et une assiette variée. J’entame en attendant que la troupe débarque. La petite salle est déjà envahie par les trentenaires idoines.