La nouvelle vie parisienne: mercredi, novembre 22, 2006

22.11.06

Que faire? comme disait Lénine

Paris vu de son lit, ça ressemble à n’importe quelle ville dans le monde. Tout dépend où vous êtes situés. Perso, j’ai un petit appartement, qui donne sur une cour arborée, très calme, je vois, en fait je devine, parfois les gens qui la traversent pour se rendre chez eux, ou partir au-dehors. J’ai quelques voisins mélomanes, une violoncelliste qui, à partir de 11h fait ses gammes, un saxo qui prend le relais vers 15h et un pianiste en herbe qui a ses cours vers 18h30. Il y a toujours des sons qui me viennent d’autres instruments, des tables que l’on déplace, de l’aspirateur qu’on passe ou d’escarpins à clous qui battent le plancher. Cette dernière spécialité a été développée par ma voisine du dessus qui n’hésite pas, à l’approche du premier sommeil à parcourir rageusement chaque parcelle de son minuscule appartement.

J’ai juste eu le temps de faire une sieste depuis hier, je suis à l’heure du violoncelle. Ma culture classique ne me permet pas de deviner immédiatement le morceau joué, mais en écoutant bien, je dirais Bach, une de ses célèbres suites. Certainement Bach. Définitivement. J’allume mon ordi, me prépare un café, à l’italienne, reluque mon paquet de clopes et me dis qu’aujourd’hui, ça va pas le faire. Pendant que le café monte, je checke mes mèls, et lance ma playlist jazz, pour un réveil serein. Le café une fois fait, je m’allonge, et contemple mon plafond pendant une bonne poignée de minutes, repense à ce qui s’est passé hier, et quoi faire aujourd’hui. Mon état ne me permet pas de faire grand chose, peut-être appeler des amis, lancer de grands défis sur ma console, ou prendre contact avec Charlotte. Je déguste mon café. Je l’achète chez un torréfacteur, mélange italien, et je n’utilise que de l’eau de sources, l’eau parisienne donnant un mauvais goût à tout. Je pose ma tasse, et ne me décide toujours pas.

C’est un moment exquis que celui qui suit le réveil, quand rien n’est prévu dans la journée, que l’on rêvasse doucement sur son canapé. Pas d’obligations, le frigo est plein, il y a de quoi fumer pendant une semaine, les morceaux de jazz s’enchaînent parfaitement – plusieurs semaines de travail pour en arriver à ce résultat – bref, j’ai l’impression que rien ne peut arriver aujourd’hui que je ne veuille pas. Mais voilà, le temps passe, et avec lui, l’organisme engrange les minutes avec plus ou moins d’allant, le cerveau fait des connexions, l’énergie de l’ensemble croît et décroît, comme une marée de solstice, le besoin de faire se fait sentir puis oublier, puis ressentir. Cet ensemble translate, relationne, aphélise et périhélise, traverse mille saisons en un clin d’œil, ça urge, y’a un moment où c’est plus possible de rester détendu, mou, lâche, faut expier tout ça et prendre des décisions, quitte à ne pas les tenir, mais faut y aller, sabre au clair, à la Cosaque, sur une énergie. Donc je prends mon phone et je numérote.

Premier pote – Personne, je laisse un message « Salut, c’est moi, ben j’appelle pour savoir ce que tu foutais, histoire de savoir. Bon. Je te rappelle plus tard. » Second pote – repersonne, je relaisse un message « Yo ! C’est ouam, ben j’appelais pour te lancer un défi sur la console, histoire de te mettre minable. Bon, ben à plus. Chô. » Pour le troisième j’hésite, il a une meuf depuis peu, donc pas la peine. Pour le reste du carnet, y’a personne que je me sens de voir. Je me dis que je pourrais peut-être tenter d’appeler la miss. Je me laisse un peu le temps encore. Ce disant, je l’appelle, sur un coup de sang, comme ça, parce qu’il faut bien, sinon ça procrastine trop et à force de remettre, on le fait plus, ou mal, ou trop à contretemps. Il y a des nécessités avec lesquelles nous devons tous vivre, ce type d’appel est une façon de contenter quelques envies basses, mais plus douces que boire, respirer ou manger ; et encore. J’appelle… Ça sonne… Longtemps… Pas de messagerie après dix coups… Ca sent le coup foireux, le numéro mal écrit, l’entube intégrale. Un portable sans messagerie, ça n’existe pas, le portable d’une minette sans messagerie, c’est impensable, ou alors y’a saturation, dans ce cas, pas la peine de se monter le bourrichon, quand ça socialise trop, y’a plus la place pour les derniers arrivants, les allogènes sont malvenus, relégués dans la grande périphérie, en banlieue, loin du cœur loin des yeux. Je ne vaux pas plus qu’un gars de Melun, en baskets, coincé devant chez Régine, faut qu’j’abandonne tout espoir.

Je me remets devant ma bécane, et rechecke mes mèls, je change de playlist, un peu d’électro, me prends un Coca édulcoré et me décide pour ma première clope. Je sens une légère montée de fièvre, j’assume, je m’affale un peu plus, me recouvre de mon vieux – mais très confortable – dessus de fauteuil. Je fais quelques ronds de fumée. Première clope + (café / coca) = destop. Je me remets sous ma couverture, et finis ma première clope. Je rerechecke mes mèls et zappe le morceau électro en lecture. Je prends un mouchoir, l’humilie, le déchire, puis le vrille et le jette. Je prends un livre au hasard et me dis « non, pas celui-là. »

J’ai toujours quelques livres commencés dans ma bibliothèque, ils sont réunis en tas normalement juste un demi bras sous la ligne de saisie la plus facile, ce qui doit se trouver autour de la troisième étagère. Actuellement, ils sont huit. Cinq sont à peine entamés, trois ont leur moitié dépassée. Si je dois lire aujourd’hui, ce sera un de ces trois-ci que je rouvrirai, in petto-je. Deux études, un roman. La première étude s’intéresse aux guerres révolutionnaires et à l’invention de la guerre totale, je me le sens pas, j’ai besoin de quelque chose de plus apaisant, facile à lire. La deuxième étude est un fouillis de documents sur la colonisation française et ce qu’elle a apporté aux techniques d’extermination des peuples et à l’histoire universelle des massacres ; je suis déjà bien trop nauséeux. Reste le troisième ouvrage, un roman, japonais, très bien écrit, trop bien écrit pour mon état. J’abandonne ces poursuites et me tourne vers les à-peine-entamés. Trois études, deux romans, mais rien qui m’agrée. Donc je fouille un peu, feuillette, farfouille et farfeuille, je mets de côté une bande dessinée, un SanA et un juge Ti. Je checke mes mèls, lance une compilation de musique contemporaine, me sers un autre Coca édulcoré, prends ma couverture, la jette sur mon canapé, pose mes trois ouvrages sur ma table basse, m’allonge, m’enroule dans la couverture, tire un peu la table basse vers moi, allume ma loupiotte de lecture, mets un coussin derrière ma tête, me détends, prends la BD, la couche sur ma poitrine et rêvasse.