La nouvelle vie parisienne: mercredi, décembre 20, 2006

20.12.06

Un titre qui n'a rien à voir avec le contenu

Je cherchais une clé. Un truc multifonction qui pourrait me permettre d’accéder en un tournemain à tous les petits espaces clos de ma mémoire, tous les détails que je pouvais trouver insignifiants jusqu’à présent, mais qui à ce moment me devenaient fondamentaux. Comment avais-je pu être aussi insensible à ces choses-là? Je sentais qu’un moment était venu. Qu’il fallait réellement faire quelque chose de nouveau, qui marquerait cette époque de ma vie durablement. Mais quoi? Je changeais, cela devenait évident, je suivais un fil que je n’avais pas souvenir d’avoir jamais tiré d’aucune part, qui ne m’appartenait pas. Je posais mes pas sur une route déjà largement piétinée, parcourue mille fois et qui par moments recueillait mes pieds impeccablement. C’est donc que j’y étais déjà passé, mais bon, je m’en souvenais plus.

Voyez ce geste, sentez ce parfum, un oeil sur une forme, ou un regard qu’on croise et on sait que putain j’ai déjà vu ça, je connais, mais d’où? C’est de cela qu’il s’agissait, de cet étrange sensation de déjà-vu, mais c’est sûr bon sang! Et son contraire, le je connais c’est certain, mais impossible de mettre un nom dessus, ou un lieu, un moment, un quelqu’un. Tout ça à la fois, de l’oublié et du bien connu, comme l’habitude de vivre dans la pénombre, dans le souvenir de l’à-peu-près, du juste à la limite de l’inconnu, une éclipse partielle générale. Des connexions qui se font pas trop bien entre ce qui est passé et ce qui est et ce qui va advenir, ce dont on est certain de savoir et de ne jamais avoir su. Et pour le coup le simple effort de se rappeler un détail devient un truc tellement énorme qu’on se désole d’avoir à le faire, pour si peu.

Bon, j’entamais un nouveau chemin déjà bien balisé. Je savais grosso modo vers où je devais me diriger, j’avais le vague souvenir d’une rue, d’un trottoir en fait et d’un immeuble. Ils devaient être dans cette direction, vers là-bas, à peut-être dix minutes de marche. Et ce temps suffirait pour regrouper tous les détails éparpillés inside mon cabestron. Elle était brune, yeux étranges, noirs je crois, quelle taille? A peu près jusque là, au dessous de ma joue, et plutôt mince, non? Bah! L’important étant que je puisses la reconnaître, après tout c’était le principal, mais en même temps, pourquoi rechercher quelque chose d’aussi léger, qui m’avais si peu marqué et dont je savais que ma foi... Le désoeuvrement.

La première rue s’achevait sans croiser quiconque, j’entrais dans un des quartiers les plus vides de Paris, malgré la présence de quelques magasins, et d’un bar, personne ne s’aventurait dans ces rues larges et propres, on n’y circulait que pour se rendre chez soi et vu l’heure, tout le monde était devant son poste de télé, dans son canapé, sur son fauteuil, dans son quotidien dominical. Je ferai mieux, me dis-je, de faire comme tout le monde, à quoi ça sert de marcher comme ça, presque tout le temps. Sans emploi, chaque jour ressemble à samedi, rien à faire le lendemain et le jour même ne trouver qu’à s’occuper, comme pour passer le temps, et faire un peu ce qu’il était impossible de faire les autres jours, je me transformais en Zombie, je reproduisais les gestes d’une ancienne vie sans ses buts. Et avec ce petit quelque chose en moins, l’opératoire, ça ne rimait à rien. Alors je tournai à droite, pour rentrer chez moi.

Parce que.

Et puis. Je changeais d’avis, sans aller jusqu’au but, puis sans revenir vraiment sur mes pas, je tournais au mauvais endroit pour aller là où j’aurais voulu aller, et par une série de détours, je me retrouvais très loin des deux seuls lieux que j’aurais aimé atteindre à ce moment. Avec un certain à-propos, un bar sympathique se présentait à moi. J’y entrai, m’installai, commandai une bière et me mis à boire. Je laissai mon cerveau faire sa vie, les yeux un peu partout, l’oreille haute, je laissai entrer tous les stimuli du bar dedans, dans cet appareil à remodeler le réel, dans mon brouillard, à reconnaître des formes dans le brouhaha alentour, un test de Rorschach en plusieurs dimensions. Et sa forme à elle me revenait par plusieurs coins, elle avait un angle-là dans ma tête et je sentais qu’il me fallait tout de même agir, ne pas renoncer en cherchant toute ces raisons, aller un peu au bout de quelque chose qui me dispensait de ne pas vouloir. Un truc en positif, qui mobilise un peu plus que mon imaginaire, qui nécessite une collaboration de tous les petits bouts de mon être. A la troisième bière je levai le camp, saluai le bar et dévalai la rue. Je savais pertinemment où la trouver, exactement, sans avoir à me remémorer un moindre instant du chemin.

Me voici enfin en bas de chez elle. C’est à ce moment que je compris tout ce qui me faisait hésiter, m’envoyait sur ces chemins de traverse, me poussait à ne pas y aller si vite, avec tout ce qui m’en parlait de cette recontre. Je ne savais pas où sonner. J’ignorais son nom.