La nouvelle vie parisienne: dimanche, novembre 19, 2006

19.11.06

Paris, c'est tout droit.

Je me suis dit, c’est bon, il va pas me lâcher, il a décidé de m’emmerder, de faire sa fête à un mec, et c’est tombé sur moi. Ce genre de gland, il en tombe des milliers par an , il faut faire avec, c’est comme les chiures de chiens sur les trottoirs de Paris, t’as beau tout faire pour les éviter, y’a un moment où. J’avais pas fait gaffe, je regardais pas où j’mettais les pieds, et voilà le travail. Juste une flaque d’eau ça suffit en temps normal, mais quand ça s’accroche à ton fute, tu peux toujours te brosser, ça fait des auréoles. Et pis y’a l’odeur. Je me retourne et lui lance, j’suis sur vibreur, je sens pas toujours. Voilà pas qu’il veut revérifier, il fait une nouvelle fois mon numéro, j’lui montre, ça s’affiche, je lui mets bien le truc sous les yeux, j’insiste, limite je m’émotionne. Il baisse les yeux, et dit un truc. J’m’en branle et lui fait voir mes talons. Je serre un peu du cul, la peur de nouvelles retrouvailles, mais c’est bon au bout de cent mètres, je sens plus sa présence. Je tourne le coin, et à dix pas, j’me retourne. Nada, walou, sonneper. Je lâche un p’tit ouf de soulagement, et repars de plus belle. J’l’avais bien berné, mon numéro cézigue il était pas près de l’avoir, je lui ai refilé un de mes vieux, oublié, dans les poubelles de l’histoire.

Je peux enfin me retrouver, faire le point. Dans ces cas, je ralentis. Le manque de clope m’empêche d’avoir une bonne vision d’ensemble, mais je me dis que tout de même, pour une soirée qui s’annonçait très tranquille, j’ai fait plus que mon quota. J’ai une poulette au chaud, des histoires à raconter, mais un compte en banque un peu cafardeux, parce que le restau plus les verres dans ces temps de crise, ça va chercher loin. Je vois le coin de ma rue. Je m’accélère, et en passant un renfoncement, j’entends une petite voix, qui dit aidez-moi. Je freeze. Tourne doucement ma tête et vois une petite vieille, emmitouflée dans une pov’ couverture maronnasse, un chapeau tout dégonflé sur la tête et des reliquats de carton plaqués entre elle et la porte. En temps normal, j’en ai rien à battre, mais là, j’ai été appelé, c’est une question d’humanité, de respect de soi aussi, pis de l’autre en passant. Je me baisse un peu pour être plus trop haut et lui demande ce que je pouvais faire pour l’aider. Elle lève la tête et me regarde horrifiée, je lui répète qu’est-ce que je peux faire, et là elle m’envoie chier, mais d’une force, j’en restais comme des ronds de chapeau, le cul sur les talons et la gueule béante, elle m’dit de toucher à mon cul et de me mêler de mes oignons, qu’elle voulait pas s’faire emmerder par un p’tit con de bourgeois de merde et qui si je décarrais pas dans la seconde elle hurlait au viol. Je me remets doucement de mes émotions et debout, et je relance la machine à rentrer.

Je m’laisse penser que la nature humaine, c’est vraiment un truc bizarre, qu’y avait pas à dire, qu’il valait mieux parfois s’occuper de soi et c’est tout, qu’y avait trop de gens sinon à s’occuper et si on commence, on a pas fini, que c’est un engrenage qu’il faut pas mettre un phalange dedans, mais que c’était con, parce que parfois, ben on avait la place pour aider. Devant mon chez moi, je lève les yeux, vois l’immeuble tout dressé, tout sombre, avec le ciel en haut qui commençait à prendre des petites teintes mimines comme tout. Il me prend l’envie de pas rentrer, que j’avais encore du tonus dans les pattes et que je regarderais bien le soleil se lever sur Paris. Mais avant, il me fallait des clopes. Donc direction le rebeu du coin, pas le premier, mais l’autre plus loin rue Legendre, il est toujours ouvert, il a toujours des clopes, pis on sait jamais, y’a parfois du biz dans le coin, alors un p’tit joint pour faire dodo, c’est toujours pratique. Donc je me marche.

J’entame la rue Legendre, c’est long comme rue, ça va se perdre plus loin que je peux voir, j’y croise toujours des gens même les dimanches soir vers 2h du mat’ quand j’allais au boulot. J’y ai même plein de souvenirs de trucs zarbis, des engueulades, des accidents, des attroupements, y’a même un croisement où ça tapine, pis vers la fin y’a des bars ouverts toute la nuit, des bars un peu borgnes où qu’on sait pas si c’est du lard ou du cochon, j’y mettrai p’t-être un jour les pieds là-bas, mais pas seul, avec des potes. Ben on verra. Donc je commence l’enfilade. Repasse l’Eglise, la catholique, puis la scientologue que je peux pas m’empêcher de lancer un œil dedans, y’a toujours plein de meufs dans cette turne, qui font du racolage comme à Dam, derrière la grande vitre, entre les bouquins tout pourris d’Hubbard. Puis c’est le premier rebeu, fermé depuis pas longtemps, puis le second, celui que j’espérais, mais chose rare, il est fermé aujourd’hui. Je zute. Faut pousser plus loin. Je reprends ma route, je passe l’avenue, pas un chat. Je commence à croire que j’étais rentré dans la quatrième dimension, même le coin tapin a plié boutique, je retrouve la deuxième avenue, et prend la suite de Legendre. Enfin un lieu ouvert, je rentre. Petite boutique toute pépère, un vieux rebeu, il me sourit, je lui demande s’il a des clopes, il me sort son stock, que de la qualité, je prends des anglaises, et lui tends un billet de dix. Y’me sourit, genre merci, je le reregarde, il me resourit, ça fait cher la clope, j’lui dis. Bon, j’cherche pas plus loin et décarre. A ce prix là je vais les déguster mon con. N’étant plus loin de Montmartre, je décide de monter là-haut voir si j’y suis. Je prends les premiers contreforts d’assaut, zigzague, peine, sue, et conquiers la face ouest en même pas deux clopes.

Au bout de Junot, j’entame le labyrinthe autour de la Place du Tertre, y’a un peu de monde, c’est la magie de Montmartre, ça fait tenir les touristes longtemps debout, ils y errent, les yeux tout brillants, veulent pas perdre une miette du spectacle, et se disent j’y suis, j’y suis comme s’ils bisaient le pape ou atteignaient l’Everest. Moi je remarque surtout que ça chtouille et que c’est cracra, que la municipalité n’a pas encore lancé ses petits camions verts à sa conquête. Une fois sur les marches de la Basilique, je pose mon cul et mate les premiers rayons du soleil. L’aurore aux doigts de rose, comme disait l’autre, repeint le ciel de couleurs un peu cagueuses, c’est la spécificité du ciel parisien l’été, il est flou, trop de pollution, pas assez de vent, la chaleur ça retient, l’hivers est une saison sans mémoire, tout fout le camp, dans la Seine ou en banlieue. Mais je kiffe bien le spectacle, ça c’est gratos, ce qui est une rareté à Paris, et comme ce qui est rare est cher, et bien même ça a un prix. Je détends mes cannes et m’allume ma je sais plus combientième clope de la soirée. Et j’en profite en passant pour rêvasser, la joue dans la main, un peu en oblique, avec un petit soupir, un clignement d’œil toutes les trois secondes.

C’est 6h30, Paris se réveille définitivement, les sanitaires ont lancé leurs jets sur la ville, je me prends par la main et m’accompagne une fois pour toute chez moi. Je fais mon itinéraire, flemme de marcher, j’opte pour le métro, nach Anvers ! Mais sur les marches du funiculaire qui vois-je de mes yeux abusés, une vieille connaissance, toute fatiguette, la démarche lourde, la tête basse, la robe toute froissée. Je me poste devant elle et lui souris.