La nouvelle vie parisienne: « Connard ! »

6.8.07

« Connard ! »

15h47. Heure locale. La tablée est à moitié pleine, l’ennui palpable, j’écris un mèl à un ami. « (…) parce qu’après tout, je m’en fouts (sic) un peu de tout ça. Mais j’ai besoin de bosser… » A l’entrée de l’opène spayce une porte claque et fuse un « Connard ! » de toute beauté. Je marque un arrêt. Quelques yeux se lèvent, des têtes dodelines, je me retourne. Pour voir. Un jeune homme disparaît, il est déjà sorti quand j’interroge mon chef du regard. Je sens un trouble, léger, cela semble une chose habituelle, une chose sans conséquences, une chose normale que de tels mots soient dits ainsi. La petite grosse en face de moi sourit. Tout le monde semble connaître le fin mot de l’histoire, mais mon impétrance ne m’autorise pas à en savoir autant. Je finirai déniaisé. Je prends un pli et continue mon mèl.

A 16h, ma collègue d’en face se lève, prend un petit sac qui vivotait jusqu’alors à ses pieds et taille sa route. Elle venait de partir, nous laissant seuls, moi et mon chef. Je n’ai à présent strictement plus rien à faire. J’ai écrit une dizaine de mèls, j’ai fait le tour d’une quarantaine de sites, j’ai lu une centaine d’articles (j’exagère peut-être un peu, mais vous voyez l’idée… faire sentir une progression dans la multiplication d’actes identiques, un crescendo dans l’ennui et la complète inutilité de ma présence à ce poste à ce moment-là). Je jette un œil à mon chef, elle est absorbée par je ne sais quelle tâche, je ne vois pas son écran, donc je ne peux savoir ce qu’elle regarde. Mais elle est définitivement absorbée. J’aimerais lui faire comprendre que je souhaiterais partir puisqu’à présent je n’ai vraiment plus rien à faire ici, à mon goût. Je me lève, comme si j’allais prendre un café. Je jette un œil par dessus son épaule. Sur son écran des photographies de grosses cylindrées, je reconnais la forme typique d’une Ducati. Je n’ai rien à dire, aucune remarque ne me vient qui pourrait me permettre d’introduire le fait que j’aimerais bien me tirer de là. Donc je propose tout de même « Vous voulez un café ? »

Elle se retourne, me regarde tranquillement et me dit « Non merci, c’est trop tard pour un café. Tu peux rentrer chez toi maintenant, et puis arrête de me vouvoyer, on bosse ensemble et on a le même âge. » Je lâche un petit « oh ! » qui exprime à la fois ma surprise et ma joie, et sortent un peu spontanément de ma bouche ce qui suit « Que s’est-il passé tout à l’heure ? » Les yeux sur une fiche technique présentant je ne sais quelle moto de chez Honda elle me répond « Rien. Demain tu reviens à 9h, tu devrais prendre ce petit document avec toi et le potasser, ce sont les normes que nous devons respecter dans nos études. » J’opine mais continue sur ma lancée. Devant la machine à café, deux personnes discutent de choses et d’autres. Je les salue normalement, elles me répondent du regard et poursuivent :

- Tu as raison de dire ça, mais tu sais comment ça se passe ici.
- Moi ça me soûle, c’est pas pro.
- Attends avant de poursuivre.
- Ouais… Sinon, tu as lu le papier dans Libé sur la bataille rangée à La Défense.
- Enorme ! Tu sais que je suis passé une demi-heure avant sur l’esplanade. C’était super tranquille. Et heureusement qu’il n’y avait pas de militaires à ce moment-là. Tu t’imagines ?
- Ouais (mot incompréhensible)
- C’était une lutte entre deux quartiers si j’ai bien compris.
- Ouais.
- Bon reprenons…

Mon verre d’eau à la main, je retourne à ma place, les laissant à leur conversation. Le temps d’éteindre ma bécane et de regrouper mes affaires, mon verre d’eau est bu, la conversation en salle de pause est achevée, mon chef en a terminé avec son site de motard, il ne reste plus qu’une poignée de salariés. Je peux regagner mes pénates le cœur léger. Je salue mon chef d’un « A demain ! », auquel elle répond d’un hochement de tête, je passe ensuite à côté de deux personnes encore en poste, je leur lance simplement un regard. La dernière dépassée, j’entends un « Au revoir, à demain, bonne soirée ». C’était dit avec une certaine désinvolture, un ton normalement qui me convient, que j’apprécie même, du détâchement, quelque chose d’un peu mécanique, mais il y avait un truc en plus, de l’ironie je crois. Cela devenait un reproche, la personne qui me lançait cet au revoir me faisait sentir que j’avais été impoli de ne pas avoir saluer proprement. Je venais de faire preuve d’une légèreté coupable avec les régles de savoir-vivre, et ce manquement prenait une tournure dramatique dans le cadre du travail, car le moindre reproche sera rabâché chaque jour de la semaine, dans des proportions pour le moins déraisonnables. Je devais agir promptement, mais le temps que tous ces détails me viennent clairement à l’esprit, il était trop tard. Le mal était fait. Demain, je réparerai cet accroc. Mais pour aujourd’hui…

Une fin de journée à La Défense est un spectacle surprenant. Ça ressemble au matin, mais le soleil est de l’autre côté. Et tout le monde s’en fout. C’est l’heure du ressac. 16h15, le début des premiers courants. J’ai une mauvaise mémoire des visages, et des noms, et des situations aussi quand j’y pense, mais si j’avais eu une bonne mémoire des visages, je pense qu’à l’heure qu’il est je devrais croiser les mêmes personnes que ce matin, un peu plus vieilles de sept heures environ. Je reprends le toboggan en sens inverse, je repasse sous le pont, dépasse et tourne le dos à la perspective urbaine qui ce matin m’avait tant marqué et rejoins le premier sphincter des boyaux parisiens. Mon chauve est toujours là, en pleine conversation avec un consommateur post-bureautique, la lobby est parcemé de marcheurs qui semblent suivrent je ne sais quelle route odorante comme il est de coutume chez les fourmis. Je m’installe sur une de ces avenues et me laisse guider jusqu’à la bouche du métropolitain. Les militaires sont toujours en maraude, quelques contrôleurs veillent sur les paisibles hachoirs qui ouvrent au ventre de Paris. J’introduis mon obole dans une petite bouche qu’elle recrache par un autre trou, passe le portillon et me voilà, une fois encore aujourd’hui, à attendre le ver. Mon premier jour dans le tunnel s’achève, filage d’une journée dans ma nouvelle banalité.

1 commentaire:

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