La nouvelle vie parisienne: Vous travaillez ici depuis !!?

31.7.07

Vous travaillez ici depuis !!?

Et la porte s’ouvrit.
« Bonjour, vous devez être.. »
Oui, c’est moi, le nouveau, on m’a dit de venir vous voir, pour me présenter et pour que vous me désigniez mon poste. Une bonne grosse poignée de main, avec une chiée de phalanges puissantes de la taille de mes vertèbres. Un large sourire aux ratiches impeccables, un menton carré, des oreilles en choux-fleur, deux yeux, un nez, des cheveux, un front, et le reste à l’avenant. Une bonne gueule qui fait plaisir, une lueur d’espoir dans ce crépuscule humain. Je le suis d’un pas qu’une belle qualité d’aloi jusqu’à une chaise d’une banalité affligeante, et je m’y pose sur sa cordiale invitation. Il s’installe à son tour, puis me regarde sans rien dire, sa bouche étant trop occupée à sourire. Je lui rends son magnifique sourire et nous restons là, à nous contempler une bonne dizaine de secondes.

« Bon ! Vous savez tout, mais je vais malgré tout tout vous répéter. »
Donc il dérechèfe, lecture des journaux, organisation, compilation d’informations, service-client, relations avec les études, le travail de groupe, puis ses fonctions à lui, approvisionnement, management des équipes, formation, responsabilité, autonomie, politique de développement. « Ça fait plus de dix ans que je travaille pour cette entreprise » et il en a vu défiler des gens, de tous les côtés, en haut comme en bas. Il est un genre de rocher battu par l’océan, il ne bouge pas, et pour naviguer dans ses eaux, il faut faire attention à ne pas s’y briser, le bougre est solide et plutôt fin. « Je pense que nous allons bien nous entendre. » J’approuve silencieusement cette sentence. Mon tour vient de m’exprimer sur mon cas, le pourquoi du comment de ma présence, et puis aussi ce que j’ai déjà fait, ce que je peux faire, et un petit blabla sur combien je suis ravi d’être ici, dans cette entreprise réputée, et que j’ai faim de bosser… Je sais parler à ces gens-là.

Il me dit : « Je vais vous présenter votre groupe de travail ! »
Je parfaitise. Nous sortons de son bureau. Il referme sa porte derrière moi et me conduit d’un pas léger jusqu’à la table 3. Je remarque un espace de travail libre, certainement celui qui me sera dévolu. Cinq personnes balisent ce petit espace de trois tables. Dehors à l’horizon, la Tour Eiffel nous rappelle que nous sommes à Paris, le soleil rentre largement par les fenêtres je mire l’Est donc. Je commence la présentation par la face nord de ce petit bout de l’entreprise. Lui a commencé par le chef de groupe. Pourquoi pas ? Près de la fenêtre Hélène, une petite banlieusarde un peu grassouillette qui a foiré son DESS de communication d’entreprise. Elle poursuit de loin ses études, mais depuis qu’elle bosse ici elle n’a plus vraiment le temps et le courage d’ouvrir le moindre bouquin. Sourire tâché et œil fuyant. A sa droite, Pierre. Trois ans de boîte, licence de Droit des affaires, pas très grand, maigrichon et fatigué. Rictus inquiétant. A l’Ouest, Marc. Après son bacho, il est entré dans une boîte qui faisait des revues de presse, il découpait des articles qu’il collait sur des feuilles A4 pour faire des Press-Book. La boîte pour laquelle il bossait a été rachetée, puis l’ensemble a été bouffé par ASP. Il est content d’être là, son presque quintal s’étale tranquillement sur sa chaise à ressorts. Estelle, c’est le chef. Grande, mince, élancée, dynamique, toujours une petite remarque à faire sur ses « collègues ». Elle s’entend à merveille avec son chef, mais y’a comme un truc qui ne va pas. Je crois que c’est une personne très dangereuse… Plein sud enfin Hector. Avec un nom pareil, on peut s’attendre au pire, c’est pourtant d’emblée de qui je me sens le plus proche. Etudes littéraires foirées par manque d’intérêt, ses parents sont Hélénistes. D’où… Gros lecteur, alcoolique, il est blanc comme un cul et mal rasé. Brèfle, un homme de la nuit. Sodome est sauvée.

Je ne vais pas m’attarder sur ce qui se passe ensuite. Ces premiers contacts sont souvent sans saveurs, on se toise un peu, mais la vie continue. Je sens bien qu’il faudra un peu de temps avant de pouvoir intégrer une conversation. Pour l’instant, je suis en formation. Mon chef (je goûte peu le féminin de ce mot) me présente les outils, comment se passe une journée type, et ce qu’elle attend de moi. Tout rentre par une oreille et sort par l’autre, tout ça c’est pour causer, personne n’y croit, d’ailleurs toute cette présentation est baclée, je fais semblant. Elle aussi. C’est tacite. Je fais des clics un peu partout, et dès que l’occasion m’en est laissé, je navigue sur mes sites. La pause repas est désordonnée. Je peux déjà voir quelques groupes constitués, quelques vannes lancées servent de signes de ralliement. Pendant un quart d’heure, je me retrouve seul. Je n’ai pas faim. Je m’ennuie profondément. Encore quatre heures et je pourrai rentrer chez moi. Heureusement, il finit par se passer quelque chose.

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